Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc, si vous en avez des morceaux de l’ancienne, cela me fera des modèles. — Eh bien ! va voir là-haut, dit la tante, il y en a peut-être dans ma commode. — Donnez-moi les clefs, reprit Sylvie. — Bah ! dit la tante, les tiroirs sont ouverts. — Ce n’est pas vrai, il y en a un qui est toujours fermé. » Et pendant que la bonne femme nettoyait la poêle après l’avoir passée au feu, Sylvie dénouait des pendants de sa ceinture une petite clef d’un acier ouvragé qu’elle me fit voir avec triomphe.

Je la suivis, montant rapidement l’escalier de bois qui conduisait à la chambre. - Ô jeunesse, ô vieillesse saintes ! - qui donc eût songé à ternir la pureté d’un premier amour dans ce sanctuaire des souvenirs fidèles ? Le portrait d’un jeune homme du bon vieux temps souriait avec ses yeux noirs et sa bouche rose, dans un ovale au cadre doré, suspendu à la tête du lit rustique. Il portait l’uniforme des gardes-chasse de la maison de Condé ; son attitude à demi martiale, sa figure rose et bienveillante, son front pur sous ses cheveux poudrés, relevaient ce pastel, médiocre peut-être, des grâces de la jeunesse et de la simplicité. Quelque artiste modeste invité aux chasses princières s’était appliqué à le pourtraire de son mieux, ainsi que sa jeune épouse, qu’on voyait dans un autre médaillon, attrayante, maligne, élancée dans son corsage ouvert à échelle de rubans, agaçant de sa mine retroussée un oiseau posé sur son doigt. C’était pourtant la même bonne vieille qui cuisinait en ce moment, courbée sur le feu de l’âtre. Cela me fit penser aux fées des Funambules qui cachent, sous leur masque ridé, un visage attrayant, qu’elles révèlent au dénouement, lorsque apparaît le temple de l’Amour et son soleil tournant qui rayonne de feux magiques.