Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant l’aspect du couvent me donna un instant l’idée que c’était celui peut-être qu’habitait Adrienne. Le tintement de la cloche du matin était encore dans mon oreille et m’avait sans doute réveillé. J’eus un instant l’idée de jeter un coup d’œil par-dessus les murs en gravissant la plus haute pointe des rochers ; mais, en y réfléchissant, je m’en gardai comme d’une profanation. Le jour en grandissant chassa de ma pensée ce vain souvenir et n’y laissa plus que les traits rosés de Sylvie. « Allons la réveiller », me dis-je, et je repris le chemin de Loisy.

Voici le village au bout de la sente qui côtoie la forêt : vingt chaumières dont la vigne et les roses grimpantes festonnent les murs. Des fileuses matinales, coiffées de mouchoirs rouges, travaillent réunies devant une ferme. Sylvie n’est point avec elles. C’est presque une demoiselle depuis qu’elle exécute de fines dentelles, tandis que ses parents sont restés de bons villageois. — Je suis monté à sa chambre sans étonner personne ; déjà levée depuis longtemps, elle agitait les fuseaux de sa dentelle, qui claquaient avec un doux bruit sur le carreau vert que soutenaient ses genoux. « Vous voilà, paresseux, dit-elle avec son sourire divin, je suis sûre que vous sortez seulement de votre lit ! » Je lui racontai ma nuit passée sans sommeil, mes courses égarées à travers les bois et les roches. Elle voulut bien me plaindre un instant. « Si vous n’êtes pas fatigué, je vais vous faire courir encore. Nous irons voir ma grand’tante à Othys. » J’avais à peine répondu qu’elle se leva joyeusement, arrangea ses cheveux devant un miroir et se coiffa d’un chapeau de paille rustique. L’innocence et la joie éclataient dans ses yeux. Nous partîmes en suivant les bords de la Thève, à travers les prés