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comédie, qui a bien voulu m’appeler un instant son destin. L’Étoile et le Destin : quel couple aimable dans le roman du poëte Scarron ! mais qu’il est difficile de jouer convenablement ces deux rôles aujourd’hui. La lourde charrette qui nous cahotait jadis sur l’inégal pavé du Mans, a été remplacée par des carrosses, par des chaises de poste et autres inventions nouvelles. Où sont les aventures, désormais ? où est la charmante misère qui nous faisait vos égaux et vos camarades, mesdames les comédiennes, nous les pauvres poëtes toujours et les poëtes pauvres bien souvent ? Vous nous avez trahis, reniés ! et vous vous plaigniez de notre orgueil ! Vous avez commencé par suivre de riches seigneurs, chamarrés, galants et hardis, et vous nous avez abandonnés dans quelque misérable auberge pour payer la dépense de vos folles orgies. Ainsi, moi, le brillant comédien naguère, le prince ignoré, l’amant mystérieux, le déshérité, le banni de liesse, le beau ténébreux, adoré des marquises comme des présidentes, moi, le favori bien indigne de madame Bouvillon, je n’ai pas été mieux traité que ce pauvre Ragotin, un poétereau de province, un robin !… Ma bonne mine, défigurée d’un vaste emplâtre, n’a servi même qu’à me perdre plus sûrement. L’hôte, séduit par les discours de La Rancune, a bien voulu se contenter de tenir en gage