Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tion ; on en devenait tellement persuadé que l’on se demandait comment il était parvenu à se faire recoller la tête…

Eh bien, comprenez-vous que l’entraînement d’un récit puisse produire un effet semblable ; que l’on arrive pour ainsi dire à s’incarner dans le héros de son imagination, si bien que sa vie devienne la vôtre et qu’on brûle des flammes factices de ses ambitions et de ses amours ! C’est pourtant ce qui m’est arrivé en entreprenant l’histoire d’un personnage qui a figuré, je crois bien, vers l’époque de Louis XV, sous le pseudonyme de Brisacier. Où ai-je lu la biographie fatale de cet aventurier ? J’ai retrouvé celle de l’abbé de Bucquoy ; mais je me sens bien incapable de renouer la moindre preuve historique à l’existence de cet illustre inconnu ! Ce qui n’eût été qu’un jeu pour vous, maître, — qui avez su si bien vous jouer avec nos chroniques et nos mémoires, que la postérité ne saura plus démêler le vrai du faux, et chargera de vos inventions tous les personnages historiques que vous avez appelés à figurer dans vos romans, — était devenu pour moi une obsession, un vertige. Inventer au fond c’est se ressouvenir, a dit un moraliste ; ne pouvant trouver les preuves de l’existence matérielle de mon héros, j’ai cru tout à coup à la transmigration des âmes non moins fermement que