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memnon disputer au prêtre Calchas l’honneur de livrer plus vite au couteau la pauvre Iphigénie en larmes ! J’entrais comme la foudre au milieu de cette action forcée et cruelle ; je rendais l’espérance aux mères et le courage aux pauvres filles, sacrifiées toujours à un devoir, à un Dieu, à la vengeance d’un peuple, à l’honneur ou au profit d’une famille !… car on comprenait bien partout que c’était là l’histoire éternelle des mariages humains. Toujours le père livrera sa fille par ambition, et toujours la mère la vendra avec avidité ; mais l’amant ne sera pas toujours cet honnête Achille, si beau, si bien armé, si galant et si terrible, quoiqu’un peu rhéteur pour un homme d’épée ! Moi, je m’indignais parfois d’avoir à débiter de si longues tirades dans une cause aussi limpide et devant un auditoire aisément convaincu de mon droit. J’étais tenté de sabrer, pour en finir, toute la cour imbécile du roi des rois, avec son espalier de figurants endormis ! Le public en eût été charmé ; mais il aurait fini par trouver la pièce trop courte, et par réfléchir qu’il lui faut le temps de voir souffrir une princesse, un amant et une reine ; de les voir pleurer, s’emporter et répandre un torrent d’injures harmonieuses contre la vieille autorité du prêtre et du souverain. Tout cela vaut bien cinq actes et deux heures d’attente, et le public ne se contenterait pas à moins. Il lui faut sa revanche de cet éclat d’une famille unique, pompeusement assise sur le trône de la Grèce, et devant laquelle Achille lui-même ne peut s’emporter qu’en paroles ; il faut qu’il sache tout ce qu’il y a de misères sous cette pourpre, et pourtant d’irrésistible majesté ! Ces pleurs tombés des plus beaux yeux du monde sur le sein rayonnant d’Iphigénie, n’enivrent pas moins la foule que sa beauté, ses grâces et l’éclat de son costume royal ! Cette voix si douce, qui demande la vie en rappelant qu’elle n’a pas encore vécu ; le doux sourire de cet œil, qui fait trêve aux larmes pour caresser les faiblesses d’un père, première agacerie, hélas ! qui ne sera pas pour l’amant !… Oh ! comme chacun est attentif pour en recueillir quelque chose ! La tuer ? elle ! Qui donc y songe ?