Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il serait inutile que nous eussions ensemble la moindre conversation. Nous ressemblerions au besoin à ces deux philosophes marseillais qui avaient longtemps abîmé leurs organes à discuter sur le grand peut-être. À force de dissertations, ils avaient fini par s’apercevoir qu’ils étaient du même avis, que leurs pensées se trouvaient adéquates, et que les angles sortants du raisonnement de l’un s’appliquaient exactement aux angles rentrants du raisonnement de l’autre.

Alors, pour ménager leurs poumons, ils se bornaient, sur toute question philosophique, politique ou religieuse ; à un certain Hum ou Heuh, diversement accentué, qui suffisait pour amener la résolution du problème.

L’un, par exemple, montrait à l’autre, pendant qu’ils prenaient le café ensemble, un article sur la fusion.

— Hum ! disait l’un.

— Heuh ! disait l’autre.

La question des classiques et des scolastiques, soulevée par un journal bien connu, était pour eux comme celle des réalistes et des nominaux du temps d’Abeilard.

— Heuh ! disait l’un.

— Hum ! disait l’autre.

Il en était de même pour ce qui concerne la femme ou l’homme, le chat ou le chien. Rien de ce qui est dans la nature, ou qui s’en éloigne, n’avait la vertu de les étonner autrement.

Cela finissait toujours par une partie de dominos, jeu spécialement silencieux et méditatif.

— Mais pourquoi, dis-je à mon ami, n’est-ce pas ici comme à Londres ? Une grande capitale ne devrait jamais dormir !

— Parce qu’il y a ici des portiers, et qu’à Londres chacun, ayant un passe-partout de la porte extérieure, rentre à l’heure qu’il veut.

— Cependant, moyennant cinquante centimes, on peut ici rentrer partout après minuit.