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334 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

entre vos parents et les pauvres ; restez sans un kopek ; allez de ville en ville comme un mendiant ; renoncez-vous vous- même. Je suis profondément convaincu qu'il naîtra encore alors des hommes bons, sincères ; qu'alors la religion renaîtra ; qu'on cherchera l'idéal ; qu'on y aspirera et, qu'à notre vie, aride et froide, succédera une période de néo-christianisme, Je sais que faire cela vous est difficile, que vous êtes déjà très âgé, mais je ne veux pas croire que dans vos tribulations (si vous accomplissiez ce que je vous implore de faire), les gens vous abandonneront. Ils vous adoreront et croiront qu'après le Christ, homme-Dieu, vous êtes sur la terre le premier homme véritable. "

La réponse de Tolstoï fut la suivante :

" lassnaïa-Poliana, 14/30 février 1910.

" Votre lettre m'a profondément ému. Ce que vous me conseillez de faire a toujours été ma plus chère idée, mais je n'ai pas encore pu la réaliser. Il y a à cela beaucoup de raisons (mais nullement celle que je me sois ménagé moi- même) ; la principale est par contre, qu'il ne faut jamais faire un acte pareil pour influencer autrui. Cela d'abord n'est pas en notre pouvoir et cela ne doit pas être notre motif déter- minant. On peut et on doit le faire quand cela devient indis- pensable pour la satisfaction intérieure de notre esprit ; quand il devient moralement aussi impossible de rester dans la situation où l'on est, qu'il est impossible de ne pas tousser quand la respiration vous manque. Je suis proche de cet état-là et je le sens chaque jour davantage.

Pour ce que vous me conseillez de faire, c'est-à-dire de renoncer à mon état social, à ma fortune pour la donner à ceux qui sont en droit d'y compter après ma mort, cela est déjà fait depuis plus de vingt-cinq ans. Mais le fait qu'au milieu de la pauvreté qui m'entoure, je vis en famille avec ma femme et ma fille dans d'horribles, de honteuses conditions de luxe, ce fait me tourmente sans cesse plus et plus, et il n'est pas de jour où je ne pense à l'exécution de ce que vous me conseillez.

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