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NOTES 3^5

LECTURES

Nos arrières neveux s'étonneront du silence que notre époque aura su garder ou faire autour de Suarès ; dans quel désert ardent la grande clameur de cette pathétique voix retentit ! Je sais bien qu'à ce silence Suarès lui-même colla- bore ; sa fierté rebute l'éloge, et la difficulté de parler de lui dignement ; précisément parce qu'il s'est peint partout dans son œuvre, il reste très difficile à peindre ; on ne consent pas à le prendre pour tel qu'il se donne et l'on sent pourtant vaguement qu'à trop vouloir interpréter cette physionomie qu'il accuse, on le trahit. Enfin je ne me dissimule point que ce n'est point vers ce que lui-même estime le plus indispen- sable dans ses écrits qu'irait de préférence ma louange ; car ce qu'il estime surtout c'est cette musique passionnée qui jail- lit du profond de lui-même et où d'abord certains n'entendent que du bruit } oui, cf abord on écoutera de préférence ce qu'il écrit au sujet d' autrui, comme d'abord on écoutait les Provin- ciales. Il semblera qu'il n'est jamais meilleur que lorsqu'il parle d'un objet défini.

Je n'écris point ici un article sur le Voyage du Condottiere ;* je détache seulement de ce livre, afin d'engager à le lire, ces quelques pages sur Stendhal ; ne semble-t-il pas qu'on enten- de pour la première fois parler de Stendhal comme il faut ?

" C'est un homme qu'on se figure toujours dans l'âge mûr, fort pour la vie et déjà usé, non pas vieux, mais se défendant un peu contre la vieillesse. Il a trop d'étoffe pour un homme jeune ; et il n'a jamais eu la gravité silen- cieuse des grands vieillards. Je le vois à quarante-cinq ans, un peu gros, trapu, brun, le visage rouge. Il est tiré à quatre épingles ; mais, par disgrâce, l'une des quatre tou- jours tombe, comme il monte l'escalier de la Scala ; et l'élégant devient un tantet ridicule. Il se donne des airs

^ I vol. édité parla Grande Revue.

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