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ISABELLE 299

l'heure les déclare ; l'instant auparavant tout vous riait et l'on riait à toute chose ; tout-à-coup une vapeur fuli- gineuse s'essore du fond de l'âme et s'interpose entre le désir et la vie ; elle forme un écran livide, nous sépare du reste du monde dont la chaleur, l'amour, la couleur, l'harmonie ne nous parviennent plus que réfractés en une transposition abstraite : on constate, on n'est plus ému ; et l'efiFort désespéré pour crever l'écran isolateur de l'âme nous pousserait à tous les crimes, au meurtre ou au sui- cide, à la folie...

Ainsi révais-je en écoutant ruisseler la pluie. Je gardais à la main le canif que j'avais ouvert pour tailler mon crayon, mais la feuille de mon carnet restait vide ; à présent, de la pointe de ce canif, sur le panneau voisin je tâchais de sculpter son nom ; sans conviction, mais parce- que je savais que les amants transis ont accoutumé d'ainsi faire ; à tout instant le bois pourri cédait ; un trou venait en place de la lettre ; bientôt, sans plus d'application, par désœuvrement, imbécile besoin de détruire, je commen- çai de taillader au hasard. Le lambris que j'abîmais se trouvait immédiatement sous la fenêtre ; le cadre en était disjoint à la partie supérieure, de sorte que le panneau tout entier pouvait glisser de bas en haut dans les rainures latérales ; c'est ce que je remarquai lorsque l'efFort de mon couteau inopinément le souleva.

Quelques instants après j'achevais d'émietter le lambris. Avec les débris de bois, une enveloppe tomba sur le plancher ; tachée, moisie, elle avait pris le ton de la muraille, au point que tout d'abord elle n'étonna point mon regard ; non, je ne m'étonnai pas de la voir : il ne me paraissait pas surprenant qu'elle fût là et telle était

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