Page:NRF 5.djvu/200

Cette page n’a pas encore été corrigée

194 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

préméditation passionnée ! Enfin, le héros parle. Il ne dit pas un mot qui ne soit propre à éclairer son caractère : effrayante lucidité... dont nous com- mençons à souffrir déjà...

Quand, de tant de traits rapprochés, de tant de paroles analytiques, un vers soudain se détache, un regard, un geste, préparé de si loin, si profon- dément commandé, que c'est l'âme même qui s'y montre. Non seulement le héros parle : il vit. Prodige inattendu de la composition ! L'effort concerté de création d'un Racine est plus près du sursaut intuitif de Shakespeare que le déborde- ment tout oratoire d'un Corneille. Je prononce le mot à dessein contre Brunetière, s'appliquant à Racine : création.

Mais n'est-ce pas la seule création qu'il nous im- porte de connaître . L'inspiration pure, à qui la donner en exemple ? Au génie ? le génie n'a besoin d'exemple ni de lois... Racine nous offre le spectacle d'une entreprise plus humaine, de la plus haute entreprise qu'ait menée à terme un poète doué d'un court génie, par la force seule de son talent.

Je rêve aux heures de combat où penché sur Tacite, Racine entrait par ruse et par force dans la pensée d'un Néron, d'un Burrhus, d'une Agrippine, d'un Narcisse. Je songe à son déses- poir quand, hélas ! son amour personnel prenait le pas sur ses héros, le contraignait à y reparaître lui-même.

�� �