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154 l'A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Enfin, un disciple éperdu qui à défaut de conclusions morales conclut par l'action directe et un collègue raisonneur qui sépare résolument le domaine des théories du domaine des faits. Voilà les personnages. Pendant trois actes ils posent, débattent, tournent et retournent la question : le professeur et la novice passionnée réaliseront-ils un bonheur dû, mais cou- pable, interdit ? Ce sera non ; l'empreinte sociale les marque ; sont-ils " des lâches ou des héros" ?

On dit : ces personnages sont les nombres d'un théorème. Peut-être ! mais comme ils évoluent capricieusement ! Mais avec combien peu de rigueur ils s'enchaînent ! S'ils étaient en effet des nombres, des abstractions, des symboles, je sou- haiterais plus de rigidité, une ligne nullement sinueuse, nulle- ment interrompue dans la conduite de l'action. Or, que de rencontres imprévues ! que d'arrêts sans prétexte ! que de bondissements ! En vérité, ce sont des êtres, des êtres qui ne sentent rien qu'ils n'analysent, qui ne pensent rien qu'ils ne soient prêts à expliquer ; mais qui vivent pourtant. D'une vie intérieure certes plus générale, plus formulée que la vie du commun des hommes, mais aussi, par une singulière contra- diction, plus ardente. Oh! la belle fureur de ces êtres-nombres en présence ! comme ils savent bien frapper la réplique aux plus pathétiques instants ! Alors on perd de vue la théorie, on ne voit plus que lucidité dans la passion.

M"° Lenéru, après cette œuvre remarquable, oui ! magistrale par endroits, s'abaissera-t-elle à peindre des héros de moindre envergure intellectuelle ? En quittant le domaine des idées pures, gardera-t-elle sa véhémence et son éclat ? Nous saurons peut-être un jour si la source de son talent se cachait dans l'ivresse philosophique ou dans l'intuition des âmes. Du moins M. Antoine ne pouvait mieux asseoir sa tentative novatrice que sur ces nobles Affranchis qui furent joués excellemment. H. G.

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