Page:NRF 3.djvu/181

Cette page n’a pas encore été corrigée

ENFANCE ET JEUNESSE 1 73

Chien à cause de sa figure rogue et de son humilité rampante devant les supérieurs, nous poursuivait d'une haine particulière, sans doute parce que nous étions peu capables de prendre l'offensive, et parce qu'il voyait dans nos conciliabules littéraires, à l'écart de tous jeux et sports, un défi à son autorité et une atteinte à l'ordre établi. Je l'ai entendu vingt fois reprocher à Philippe, non pas franchement, mais en phrases voilées et perfides, sa petite taille et sa pauvreté. Philippe, qui pardonnait tout, ne lui a jamais pardonné.

Cette gêne de l'internat entretenait en nous une durable et salutaire exaltation. Tous nos jeunes sentiments prenaient une couleur romantique : une pente facile nous menait de l'ennui au désespoir ; notre résignation tournait au stoïcisme, et nous lisions Epictète dans une informe traduction à vingt-cinq centimes ; nous ne connaissions pas de degrés entre la joie et l'ivresse. Cet état romantique est singulièrement favorable à l'éclosion des goûts litté- raires. Vers ses dix-huit ans, Philippe se découvrit le don lyrique. Il écrivit d'abord pour soulager son cœur gonflé ; puis, quand il eut goûté au délice de la création poétique, toute autre joie lui parut fade, et il s'abandonna à ce ruissellement intérieur que la mort seule devait tarir.

Il faut dire quels furent ses premiers modèles. Nous possédions peu de livres et lisions sans choix tout ce qui nous tombait sous la main. Ce furent d'abord les Trophées de Hérédia, les Poèmes de Leconte de Lisle ; Philippe les apprit par coeur, mais sans autre profit que d'écrire quelques strophes parnassiennes assez correctement imitées, dont il n'était guère satisfait. De Leconte de Lisle, dont l'orgueilleuse douleur écrasait la sienne, il n'aima vraiment

�� �