Page:NRF 1909 2.djvu/84

Cette page n’a pas encore été corrigée
190
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Elle se mit à rire. J’ajoutai :

— N’y a-t-il rien à quoi nous puissions nous occuper ensemble ?

De tout temps nous avions pris plaisir au jardinage. Un jardinier sans expérience remplaçait l’ancien depuis peu, et le jardin, abandonné durant deux mois, offrait beaucoup à faire. Des rosiers étaient mal taillés ; certains, à végétation puissante, restaient encombrés de bois mort ; d’autres, grimpants, croulaient, mal soutenus ; des gourmands en épuisaient d’autres. La plupart avaient été greffés par nous ; nous reconnaissions nos élèves ; les soins qu’ils réclamaient nous occupèrent longuement et nous permirent, les trois premiers jours, de beaucoup parler sans rien dire de grave, et, lorsque nous nous taisions, de ne point sentir peser le silence.

C’est ainsi que nous reprîmes l’habitude l’un de l’autre. Je comptais sur cette accoutumance plus que sur n’importe quelle explication. Le souvenir même de notre séparation déjà s’effaçait entre nous, et déjà diminuait cette crainte que souvent je sentais en elle, cette contraction de l’âme qu’elle craignait en moi. Il semblait que nous ne parlassions plus que par jeu et que ne signifiât dans nos propos que le regard souriant, que le geste et que l’intonation de notre voix. Alissa, plus jeune qu’à ma triste visite d’automne, ne m’avait jamais paru plus jolie. Je ne l’avais pas encore embrassée. Chaque soir je revoyais sur son corsage, retenue par une chaînette d’or, la petite croix de saphirs briller. En confiance l’espoir renaissait dans mon cœur ; que dis-je : espoir ? c’était déjà de l’assurance, et que j’imaginais sentir également chez Alissa ; car je doutais si peu de moi que je ne pouvais plus douter d’elle. Peu à peu nos propos ainsi s’enhardirent.