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UNE BELLE VUE 5°9

s'approcha à pas feutrés de mon père et lui souffla quelques mots à l'oreille, d'une des voix spéciales qui sont à peine d'un ton au-dessus du silence. Lui se pencha ensuite vers maman et murmura :

— M. le curé me demande de passer à la sacristie...

Il nous laissa donc, et, tandis que l'église se vidait, nous restâmes assis à l'attendre. Cela valait certes mieux que de stationner sur la place, exposés à la nargue des Davè- zieux, aux froides politesses des uns ou aux airs distraits des autres. Dans ce dernier genre, les de Chaberton excellaient. En six semaines, on ne les avait pour ainsi dire aperçus que de profil.

Mon père ne tarda pas à revenir. Il avait le visage décomposé et les yeux pleins de larmes.

— C'est épouvantable, dit-il, tout enroué. Tourneur a été frappé l'autre soir d'une congestion cérébrale... On l'a ramassé sur la route... On le croit perdu... Il faut absolument que j'aille au Colombier prendre des nou- velles...

Quelques groupes stationnaient encore sur le terre- plein. Tandis qu'à longues enjambées, mon père s'éloi- gnait de son côté, M. Servonnet aborda maman:

— Eh bien ! chère madame Landry, avez-vous appris l'événement du jour ? Ce pauvre Tourneur...

— Oui, je sais, mon mari va justement là-bas.

— Pas possible !

En fait de nouvelles, M. Servonnet en apprenait là une fameuse, et qui l'abasourdissait, lui si peu sujet à s'étonner. Il demanda, toujours galant :

— Puisque vous rentrez seule à Longval, me permet- tez-vous, charmante dame, de vous servir de cavalier ?

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