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UNE BELLE VUE 493

jusqu'à effacer le souvenir d'une " affaire " plus grave encore. La famille Tourneur, conviée à la fête, rentrerait avec honneur dans le giron de la société. Je guettais anxieusement, et d'ailleurs vainement, l'arrivée du breack. Et je n'osais pas me réjouir pour ma petite amie inconnue, en songeant que l'on n'ouvrait les bras aux réprouvés de la veille, qu'afîn de nous accabler davantage.

Soudain Marguerite me poussa le coude et je revins de très loin. Elle murmura, enrouée :

— Les vois-tu ? Elles sont avec Marguerite de Choulans, leur grande amie du Sacré-Cœur... Je suis sûre que c'est elle... Est-elle assez laide ?

Là-bas, sous les arbres, Yvonne et Gilberte, semblables dans leurs robes de mousseline rose à deux poupées toutes neuves, allaient, tenant chacune par la main une grande fille dégingandée et rieuse, et qui n'était pas si laide, à mon humble avis, que ma sœur voulait bien le dire.

Mais quoi ! était-il possible ? Marguerite pleurait. Pâle, crispée et se mordant les lèvres, elle ne laissait échapper ni un soupir, ni un hoquet, mais de grosses larmes lui tombaient des cils, une à une, continûment. Quelle faiblesse de sa part, et devant moi surtout ! Avec son amour-propre elle était si peu prodigue de larmes qu'à peine connaissais-je la couleur des siennes. Comme il fallait donc qu'elle souffrît à la vue de la rivale qui l'avait supplantée auprès de ses inconstantes amies ! Et il y avait aussi l'humiliation !

Pauvre Marguerite ! Elle ne se doutait pas du bien qu'elle faisait à son petit garçon de frère en se révélant toute pareille à lui. C'en était fini pour moi de l'ac- cuser de sécheresse et de croire à sa supériorité. Je

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