Page:NRF 1909 12.djvu/47

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHARLES BLANCHARD 469

l'on doit bâiller, que l'on doit ouvrir la bouche, la gorge et la poitrine pour qu'elles puissent entrer et faire leur route à travers votre corps. Les heures de la nuit étaient si nombreuses qu'on ne les affrontait pas, il n'y avait qu'une conduite à tenir envers elles : se coucher, dormir, leur laisser le temps, la vie et l'espace. Depuis combien de temps cela durait-il ? Si Charles Blanchard avait su comp- ter, il eût estimé que cela durait depuis cent ans. Il eût manqué de force déjà pour continuer à vivre comme il avait vécu. Mais devant les heures nouvelles, il n'avait plus qu'à se laisser faire. Il lui semblait, au milieu d'un bâillement, qu'il ne pour- rait jamais ouvrir la bouche assez grande pour qu'elles pussent entrer. La vieillesse produisait ses premiers effets : les muscles de ses mâchoires n'étaient plus assez souples, le mouvement de son sang plus assez rapide, un grand froid qu'il res- sentait n'était pas le froid de l'hiver, l'ombre qui l'entourait n'était pas celle de la nuit. Oui, c'était bien cela : il était très vieux, le temps était venu où il devait s'abandonner à la mort.

Charles-Louis Philippe.

�� �