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la nouvelle revue française

regard était d'expression si différente que je ne m'avisai de cette ressemblance que plus tard. Je ne puis décrire un visage ; les traits m'échappent, et jusqu'à la couleur des yeux ; je ne revois que l'expression presque triste déjà de son sourire et que la ligne de ses sourcils, si extraordinairement relevés au dessus des yeux, écartés de l'œil en grand cercle. Je n'ai vu les pareils nulle part... si pourtant : dans une statuette florentine de l'époque du Dante ; et je me figure volontiers que Béatrix enfant avait des sourcils très largement arqués comme ceux-là. Ils donnaient au regard, à tout l'être, une expression d'interrogation à la fois anxieuse et confiante, — oui, d'interrogation passionnée. Tout, en elle, n'était que question et qu'attente... Je vous dirai comment cette interrogation s'empara de moi, fit ma vie.

Juliette cependant pouvait paraître plus belle ; la joie et la santé posaient sur elle leur éclat ; mais sa beauté, près de la grâce de sa sœur, semblait extérieure et se livrer à tous d'un seul coup. Quant à mon cousin Robert, rien de particulier ne le caractérisait. C'était simplement un garçon à peu près de mon âge ; je jouais avec Juliette et avec lui ; avec Alissa je causais ; elle ne se mêlait guère à nos jeux ; si loin que je replonge dans le passé, je la vois sérieuse, doucement souriante et recueillie. — De quoi causions-nous ? De quoi peuvent causer deux enfants ? Je vais bientôt tâcher de vous le dire ; — mais je veux d'abord, et pour ne plus ensuite reparler d'elle, achever de vous raconter ce qui a trait à ma tante.


Deux ans après la mort de mon père, nous vînmes, ma mère et moi, passer les vacances de Pâques au Hâvre.