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732 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

LETTRES DU LIEUTENANT DE VAISSEAU DUPOUEY. Préface d'André Gide. (Éditions de la Nouvelle Revue Française).

« Fallait-il donc la guerre pour me le présenter tel qu'il était vraiment ? Fallait-il la guerre pour le révéler à lui-même, pour réveiller en lui les plus belles vertus sommeillantes ? Il était mon ami depuis quinze ans et je ne le connaissais point... » Ainsi parle André Gide du lieutenant de vaisseau Dupouey dans son émouvante préface. A dire vrai, ce n'est pas la guerre qui illumina Dupouey et son retour à Dieu coïncida avec son mariage. Mais la guerre exalta ce qui était acquis ; elle plaça sur son vrai terrain, dans les conditions les plus favorables, cet homme à l'âme ardente, fière, active, qui avait été curieux de tout, en qui s'était approfondi « ce vide espace, que seule, nous dit André Gide, la Présence eucharistique pourra remplir ». Sur le terrain de l'absolu, dans l'acceptation du dernier sacri- fice, aux portes de la mort, Dupouev est vraiment Dupouey, j'entends délivré de lui-même, selon l'admirable mot de Claudel. 11 réalise, par cette délivrance, par sa conformité à Notre Seigneur Jésus-Christ, son ancien rêve d'individualiste. Ce n'est pas là un paradoxe. « Qui veut sauver son âme (ou sa vie) la perdra. » Qui veut sauver, pour lui faire un sort, la petite singularité qui semble particulière à son individu, ne saurait réussir qu'à anéantir tout le reste, c'est-à-dire tout l'in- dividu. Sur cette phrase de l'Evangile on bâtirait non pas seu- lement une éthique, mais une esthétique — et cette esthétique chrétienne coïnciderait exactement avec l'esthétique classique. Dupoue)' sait, étant chrétien, que si le mal égalise, banalise, confond l'homme avec le troupeau, le bien, conforme à Dieu, répand sur la créature, au contraire, cette harmonieuse diversité qui est la marque de la création. — On ne résume pas ce volume de Lettres. Elles sont tendres et violentes ; elles respirent cette sérénité miséricordieuse et implacable, qui refuse de composer avec l'erreur, avec le mal mais qui propose à tous les hommes le trésor gratuit delà charité de Dieu. Leçon d'abandon à la Pro- vidence, leçon d'obéissance et de fidélité. La mort, demain peut-être, frappera le foyer de paix où la femme et le jeune enfant attendent le retour du père. Ce ne sera qu'une apparence.

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