Page:NRF 19.djvu/723

Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 721

juste. Il l'appelle la critique des beautés. Plus précisément nous dirons que l'honneur des grands romantiques, à la suite de Diderot, a été de faire entrer dans la critique ces deux puis- sances royales, que les écoles en bannissaient soupçonneu- sement : l'enthousiasme et les images.

Faguet remarque que « la critique des défauts a été inventée par les critiques et la critique des beautés par les auteurs a. S'il en était vraiment ainsi, la part de ce que Faguet appelle les cri- tiques, c'est-à-dire des seuls professionnels et des professeurs, serait bien misérable. Ils ont apporté heureusement autre chose. Mais les auteurs, c'est-à-dire la critique des grands artistes, laissant les professionnels travailler pendant les six jours ouvra- bles, nous ont vraiment donné, le septième jour, nos vête- ments de fête devant la beauté, les orgues et les chants, les cor- beilles pleines de fleurs avec lesquelles nous célébrons son culte. Le génie n'a pas touché à la critique sans y avoir laissé ses traces d'or, sans lui avoir formé son épaule d'ivoire. Les lec- teurs de Chateaubriand savent quelles lueurs divinatrices les phrases et des images du Génie du Christianisme jettent sur les grands écrivains du passé. Sans demander à William Shakes- peare des services critiques qu'il ne saurait rendre, nous voyons les traces de gloire ineffaçable qu'a laissées en passant dans le champ de la critique ce grand oiseau de musique et d'or. Tous ceux qui écriront sur Mistral seront tributaires des deux articles de Lamartine, et ne pourront que monnayer cette médaille d'images souveraines.

La critique, par un certain côté, c'est l'art des comparaisons. Mais les comparaisons, quand elles deviennent œuvres d'art, s'appellent des images, et les romantiques ont eu ce mérite de tremper la critique dans un bain d'images. Evidemment il peut y avoir de l'excès. Quand je lis Saint-Victor, disait Lamartine, je mets des lunettes bleues. Mais le besoin heureux de belles images est aujourd'hui incorporé à la critique, où elles ne ser- vent pas seulement à illuminer, mais à éclairer.

Je sais bien qu'on ne saurait nier les limites et les lacunes de la critique d'artiste. Elle est presque toujours partiale et par- tielle. En général un grand poète voit dans les autres grands poètes des reflets de lui-même, salue en eux les formes du génie qui l'habite. Victor Hugo, dans William Shakespeare, se

46

�� �