Page:NRF 19.djvu/553

Cette page n’a pas encore été corrigée

de fioles et de tubes à essai avec des liquides multicolores. Volôdia prit sur la table un journal, le déplia et lut le titre : Le Figaro. Le journal répandait une odeur agréable et forte. Puis Volôdia prit, sur la table, un revolver.

— Bah ! n’y faites pas attention, disait dans la pièce voisine la maîtresse de musique, consolant maman. Il est encore si jeune ! A cet âge, les jeunes gens se permettent tant de choses ! Il faut en prendre son parti.

— Non, Evguénia Andréievna, il est trop perverti ! dit maman d’une voix traînante. Il n’a personne d’âgé auprès de lui ; et je suis faible, et ne puis rien. Oh ! je suis malheureuse !

Volôdia mit le canon du revolver dans sa bouche, tâta quelque chose, la gâchette ou le chien, et pressa avec le doigt... Puis il tâta encore quelque chose de saillant, et pressa encore une fois... Ayant retiré le canon de sa bouche, il l’essuya avec le pan de sa capote et contempla la platine. Jamais auparavant il n’avait eu une arme en main...

« Il me semble qu’il faut relever ça, se dit-il. Oui, il me semble... »

Augustin Mikhaïlovitch rentra dans la salle commune et se mit à raconter quelque chose en riant très fort... Volôdia remit le canon dans sa bouche, le serra entre ses dents et pressa quelque chose avec le doigt. Une détonation retentit...

Quelque chose frappa Volôdia à la nuque avec une force effroyable et il tomba sur la table, la figure droit sur les verres et les fioles. Puis il vit son père, en chapeau haut-de-forme avec un large crêpe, tel qu’il portait, à Menton, le deuil d’une dame inconnue, le saisir tout à coup dans ses deux bras ; et ils tombèrent tous deux dans un abîme très sombre et très profond.

Puis tout se brouilla et disparut...


 
ANTON TCHÉKHOV

Traduit du russe par DENIS ROCHE

(Seule traduction autorisée par l'auteur.)