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Ses deux filles et sa femme tremblent sous lui qu’elles servent avec respect, comme un Roi, le Roi de la Peur qu’il crée autour de lui, partout où il habite avec elles.

Il a poussé si loin l’amour qu’il impressionne surtout celles qui sont aimées et ceux qui aiment. Les lâches pâlissent quand ils l’approchent, parce que son audace les blâme. Les audacieux rougissent devant lui d’être en retard encore sur sa violence.

Monsieur le Maire prétend que dans l’antiquité, chez les païens, on lui eût interdit le séjour de la Commune.

Il est un des rois de l’Enfer où les damnés sont assis, chacun sur un trône de feu dans sa constance éternelle.

Monsieur le Curé le salue.

Tout le monde a peur.

Tout le monde est mort avec le sous-officier pour Clodomir.

Il est seul.

Il ne voit pas le curé le saluer. Il ne regarde pas ses filles le servir. Il ne sent pas les mains des hommes se glacer dans sa main.

Il est l’Assassin, isolé dans le royaume de son courage entre une femme et le cadavre du monde qu’il s’est aliéné, dont il s’est une nuit d’un seul coup de couteau volontairement séparé.

Qui avait le droit d’aimer Sidonie que lui ? Il ne l’aime plus. Il s’aime lui-même. Il adore sa main droite sous laquelle toute une province se courbe. Il n’y a que s’il lui arrivait de rencontrer sur les lèvres de quelque pygmée « le nom » qu’il s’est donné éternellement dans la mémoire douloureuse de Dieu qu’il se réveillerait un instant pour être en colère à force de ne pas savoir s’il devrait rire ou pleurer.

Il ne voit pas Monsieur le Curé ni les hommes ; il les a tués. Il a beau demander à l’une de ses filles de chanter à sa droite et à l’autre de jouer du violon à sa gauche le soir : il n’entend pas leur concert. La forêt qu’il a fait casser à