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CHRONIQUE DE CAERDAL IO3I

propre patrie. Il s'agit d'être libre citoyen de toutes, en esprit.

Je ne sais qu'une façon d'être bon européen : avoir puissamment l'âme de sa nation, et la nourrir avec puissance de tout ce qu'il y a d'unique dans l'âme des autres nations, amies ou ennemies. Les plus ennemies nous sont amies en ce qu'elles ont de grand ; et si nous sommes à la beauté, leurs plus belles œuvres sont à nous. Il n'y a que des amitiés pour un vaste esprit.

Etre européen : être allemand avec Goethe et Wagner ; italien avec Dante et Michel Ange ; anglais avec Shakspeare ; Scandinave avec Ibsen ; russe avec Dostoïevski : prendre à soi toutes ces puissances, et ne point se perdre à force de s'y répandre. Mais d'abord, se rendre maître du trésor, et nen pas être le gardien asservi ; en posséder les magies diverses et contraires, au lieu de s'y éparpiller au hasard : en un mot, y faire l'ordre. Voilà ce que j'appelle être européen; et c'est à quoi, de tous, l'homme de France est le plus propre. Car, s'il a le génie de sa langue, qui est un art, comme l'art même il est un ordre, et fait un ordre. Il n'y aura point d'Europe, si l'esprit Français n'y préside. Ce ne serait pas la peine d'une Europe, si elle ne se constituait en mère et protectrice du genre humain. Il reste bien plus de l'Allemand dans Goethe et de sa province, que de Paris et de Grenoble dans Stendhal. Et combien notre Stendhal

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