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Ignorant le besoin, et jamais, sur la terre,
Sinon pour l’adoucir, n’ayant vu de misère.
Son père, déjà vieux, riche et noble seigneur,
Quoique avare, l’aimait, et n’avait de bonheur
Qu’à la voir admirer, et quand on disait d’elle
Qu’étant la plus heureuse elle était la plus belle ;
Car tout lui souriait, et même son époux,
Onorio, n’avait plié les deux genoux
Que devant elle et Dieu. Cependant, en silence,
Comme Dalti parlait, sur l’Océan immense
Longtemps elle sembla porter ses yeux errants.
L’horizon était vide, et les flots transparents
Ne reflétaient au loin, sur leur abîme sombre,
Que l’astre au pâle front qui s’y mirait dans l’ombre.
Dalti la regardait, mais sans dire un seul mot.

— Avait-elle hésité ? — je ne sais ; — mais bientôt,
Comme une tendre fleur que le vent déracine,
Faible, et qui lentement sur sa tige s’incline :
Telle elle détourna la tête, et lentement
S’inclina tout en pleurs jusqu’à son jeune amant.
« Songez bien, dit Dalti, que je ne suis, comtesse,
Qu’un pêcheur ; que demain, qu’après, et que sans cesse
Je serai ce pêcheur. Songez bien que tous deux
Avant qu’il soit longtemps nous allons être vieux ;
Que je mourrai peut-être avant vous.
Que je mourrai peut-être avant vous.— Dieu rassemble
Les amants, dit Portia ; nous partirons ensemble.
Ton ange en t’emportant me prendra dans ses bras. »

Mais le pêcheur se tut, car il ne croyait pas.