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À celui que ses yeux ne peuvent rencontrer
Sans se voiler de pleurs ? « Voyons, lui disait-elle,
T’es-tu fait beau pour moi, qui me suis faite belle ?
Pour qui ce collier d’or ? pour qui ces fins bijoux ?
Ce beau panache noir ? Était-ce un peu pour nous ? »
Et puis elle ajouta : « Mon amour ! que personne
Ne vous ait vu venir surtout, car j’en frissonne ! »

Mais le jeune Dalti ne lui répondait pas ;
Aux rayons de la lune, il avait de ses bras
Entouré doucement sa pâle bien-aimée ;
Elle laissait tomber sa tête parfumée
Sur son épaule, et lui regardait, incliné,
Son beau front d’espérance et de paix couronné !

« Portia, murmura-t-il, cette glace dans l’ombre
Jette un reflet trop pur à cette alcôve sombre ;
Ces fleurs ont trop d’éclat, tes yeux trop de langueurs :
Que ne m’accablais-tu, Portia, de tes rigueurs ?
Peut-être, Dieu m’aidant, j’eusse trouvé des armes.
Mais, quand tu m’as noyé de baisers et de larmes,
Dis, qui m’en peut défendre, ou qui m’en guérira ?
Tu m’as fait trop heureux, ton amour me tuera ! »

Et, comme sur le bord de la longue ottomane,
Elle attachée à lui comme un lierre au platane,
Il s’était renversé tremblant à ce discours,
Elle le vit pâlir : « Ô mes seules amours !
Dit-il, en toute chose il est une barrière
Où, pour grand qu’on se sente, on se jette en arrière ;
De quelque fol amour qu’on ait empli son cœur,
Le désir est parfois moins grand que le bonheur ;
Le ciel, ô ma beauté ! ressemble à l’âme humaine