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Pourtant au pied du mur, sous les arbres caché,
Comme un chasseur, l’oreille au guet, tu t’es penché.
D’où partent ces accents ? et quelle voix s’élève
Entre ces barreaux, douce et faible comme un rêve ?

« Dalti, mon cher trésor, mon amour ! est-ce toi ?
— Portia, flambeau du ciel, Portia, ta main ! c’est moi. »

Rien de plus. — Et déjà sur l’échelle de soie
Une main l’attirait, palpitante de joie ;
Déjà deux bras ardents, de baisers enchaîné,
L’avaient comme une proie à l’alcôve traîné.

Ô vieillards décrépits ! têtes chauves et nues !
Cœurs brisés dont le temps ferme les avenues !
Centenaires voûtés ! spectres à chef branlant,
Qui, pâles au soleil, cheminez d’un pied lent,
C’est vous qu’ici j’invoque et prends en témoignage,
Vous n’avez pas toujours été sans vie, et l’âge
N’a pas toujours plié de ses mains de géant
Votre front à la terre et votre âme au néant !
Vous avez eu des yeux, des bras et des entrailles !
Dites-nous donc, avant que de vos funérailles
L’heure vous vienne prendre, ô vieillards, dites-nous
Comme un cœur à vingt ans bondit au rendez-vous !

« Amour, disait l’enfant, après que, demi-nue,
Elle s’était, mourante, à ses pieds étendue,
Vois-tu comme tout dort ! Que ce silence est doux !
Dieu n’a dans l’univers laissé vivre que nous. »

Puis elle l’admirait avec un doux sourire,
Comme elles font toujours. Quelle femme n’admire
Ce qu’elle aime, et quel front peut-elle préférer