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— Tu ne le connais pas, ô jeune Vénitienne !
Ce poison florentin, qui consume une veine,
La dévoue, et ne veut qu’un mot pour arracher
D’un cœur d’homme dix ans de joie, et dessécher,
Comme un marais impur, ce premier bien de l’âme
Qui fait l’amour d’un homme et l’honneur d’une femme !
Mal sans fin, sans remède, affreux, que j’ai sucé
Dans le lait de ma mère, et qui rend insensé.
— Quel mal ? dit Portia.

Quel mal ? dit Portia.— C’est quand on dit d’un homme
Qu’il est jaloux. Ceux-là, c’est ainsi qu’on les nomme.
— Maria, dit l’enfant, est-ce de moi, mon Dieu !
Que vous seriez jaloux ?


Que vous seriez jaloux ?— Moi, madame ! à quel lieu ?
Jaloux ? vous l’ai-je dit ? sur la foi de mon âme,
Aucunement. Jaloux ! pourquoi donc ? Non, madame,
Je ne suis pas jaloux ; allez, donnez en paix. »

Comme il s’éloignait d’elle à ce discours, après
Qu’il se fut au balcon accoudé d’un air sombre
(Et le croissant déjà pâlissant avec l’ombre),
En regardant sa femme il vit qu’elle fermait
Ses bras sur sa poitrine, et qu’elle s’endormait.

Qui ne sait que la nuit a des puissances telles,
Que les femmes y sont, comme les fleurs, plus belles,
Et que tout vent du soir qui les peut effleurer
Leur enlève un parfum plus doux à respirer ?
Ce fut pourquoi, nul bruit ne frappant son ouïe,
Luigi, qui l’admirait si fraîche épanouie,
Si tranquille, si pure, œil mourant, front penché,