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En manteau noir ; il est depuis deux jours à Rome.
Vous a-t-il adressé la parole ? — De qui
Parlez-vous, mon ami, dit Portia. — De celui
Qui se tenait debout à souper, ce me semble,
Derrière vous ; j’ai cru vous voir parler ensemble.
Vous a-t-on dit quel est son nom ? — Je n’en sais rien
Plus que vous, dit Portia ; — Je l’ai trouvé très-bien,
Dit Luigi, n’est-ce pas ? Et gageons qu’à cette heure
Il n’est pas comme vous défaillant, que je meure !
Joyeux plutôt. — Joyeux ! sans doute ; et d’où vous vient,
S’il vous plaît, ce dessein d’en parler qui vous tient ?
— Et, prit Onorio, d’où ce dessein contraire,
Lorsque j’en viens parler, de vous en vouloir taire ?
Le propos en est-il étrange ? Assurément
Plus d’un méchant parieur le tient en ce moment.
Rien n’est plus curieux ni plus gai, sur mon âme,
Qu’un manteau noir au bal. — Mon ami, dit la dame,
Le soleil va venir tout à l’heure : pourquoi
Demeurez-vous ainsi ? Venez auprès de moi.
— J’y viens, et c’est le temps, vrai Dieu, que l’on achève
De quitter son habit quand le soleil se lève !
Dormez si vous voulez, mais tenez pour certain
Que je n’ai pas sommeil quand il est si matin.

— Quoi ! me laisser ainsi toute seule ? J’espère
Que non, — n’ayant rien fait, seigneur, pour vous déplaire.

— Madame, dit Luigi s’avançant quatre pas, —
Et comme hors du lit pendait un de ses bras,
De même que l’on voit d’une coupe approchée
Se saisir ardemment une lèvre séchée,
Ainsi vous l’auriez vu sur ce bras endormi
Mettre un baiser brûlant, puis, tremblant à demi :