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Camargo.

Abbé, je veux du sang ! J’en suis plus altérée
Qu’une corneille au vent d’un cadavre attirée.
Il est là-bas, dis-tu ? — cours-y donc, — coupe-lui
La gorge, et tire-le par les pieds jusqu’ici.
Tords-lui le cœur, abbé, de peur qu’il n’en réchappe.
Coupe-le en quatre, et mets les morceaux dans la nappe ;
Tu me l’apporteras, et puisse m’écraser
La foudre, si tu n’as par blessure un baiser !
Tu tressailles, Romain ? C’est une faute étrange,
Si tu te crois ici conduit par ton bon ange !
Le sang te fait-il peur ? Pour t’en faire un manteau
De cardinal, il faut la pointe d’un couteau.
Me jugeais-tu le cœur si large, que j’y porte
Deux amours à la fois, et que pas un n’en sorte ?
C’est une faute encor ; mon cœur n’est pas si grand,
Et le dernier venu ronge l’autre en entrant.

L’abbé.

Mais, madame, vraiment, c’est… Est-ce que ?… Sans doute
C’est un assassinat. — Et la justice ?

Camargo.

C’est un assassinat. — Et la justice ?Écoute.
Je t’en supplie à deux genoux.

L’abbé.

Je t’en supplie à deux genoux.Mais je me bats
Avec lui demain, moi. Cela ne se peut pas ;
Attendez à demain, madame. —

Camargo.

Attendez à demain, madame. —Et s’il te tue ? —
Demain ! Et si j’en meurs ? — Si je suis devenue
Folle ? — Si le soleil, se prenant à pâlir,
De ce sombre horizon ne pouvait pas sortir ?
On a vu quelquefois de telles nuits au monde.