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Sont des guerriers couchés dans leurs armures d’or,
Penche-toi, noble cœur, sur ces vertes collines,
Et vois tes compagnons briser leurs javelines
Sur cette froide terre, où ton corps est resté !

GUNTHER, accourant.

Quoi ! si brave et si jeune, et sitôt emporté !
Mon Frank ! est-ce bien vrai, messieurs ? Ah ! mort funeste !
Moi qui ne demandais qu’à vivre assez longtemps
Pour te voir accomplir ta mission céleste !
Me voilà seul au monde avec mes cheveux blancs !
Moi qui n’avais de jeune encor que ta jeunesse !
Moi qui n’aimais que toi ! Misérable vieillesse !
Je ne te verrai plus, mon Frank ! On t’a tué.

FRANK, à part.

Ce pauvre vieux Gunther, je l’avais oublié.

LE CHŒUR.

Qu’on voile les tambours, que le prêtre s’avance.
À genoux, compagnons, tête nue, et silence.
Qu’on dise devant nous la prière des morts.
Nous voulons au tombeau porter le capitaine.
Il est mort en soldat, sur la terre chrétienne.
L’âme appartient à Dieu ; l’armée aura le corps.

TROIS MOINES, s’avançant.

chant.


Le Seigneur sur l’ombre éternelle
Suspend son ardente prunelle,
Et, glorieuse sentinelle,
Attend les bons et les damnés.
Il sait qui tombe dans sa voie ;
Lorsqu’il jette au néant sa proie,
Il dit aux maux qu’il nous envoie :
« Comptez les morts que vous prenez. »