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Mais, quand il n’en faut qu’un, je n’en dis jamais deux.
Frank, tu ne m’aimes plus.

FRANK.

Frank, tu ne m’aimes plus.Qui ? moi ? Je vous adore.
J’ai lu, je ne sais où, ma chère Belcolore,
Que les plus doux instants pour deux amants heureux,
Ce sont les entretiens d’une nuit d’insomnie,
Pendant l’enivrement qui succède au plaisir.
Quand les sens apaisés sont morts pour le désir ;
Quand, la main à la main, et l’âme à l’âme unie,
On ne fait plus qu’un être, et qu’on sent s’élever
Ce parfum du bonheur qui fait longtemps rêver ;
Quand l’amie, en prenant la place de l’amante,
Laisse son bien-aimé regarder dans son cœur,
Comme une fraîche source, où l’onde est confiante,
Laisse sa pureté trahir sa profondeur.
C’est alors qu’on connaît le prix de ce qu’on aime,
Que du choix qu’on a fait on s’estime soi-même,
Et que dans un doux songe on peut fermer les yeux !
N’est-ce pas, Belcolor ? n’est-ce pas, mon amie ?

BELCOLORE.

Laisse-moi.

FRANK.

Laisse-moi.N’est-ce pas que nous sommes heureux ?
Mais, j’y pense ! — il est temps de régler notre vie.
Comme on ne peut compter sur les jeux de hasard,
Nous piperons d’abord quelque honnête vieillard,
Qui fournira le vin, les meubles et la table.
Il gardera la nuit, et moi j’aurai le jour.
Tu pourras bien parfois lui jouer quelque tour,
J’entends quelque bon tour, adroit et profitable.
Il aura des amis que nous pourrons griser ;
Tu seras le chasseur, et moi, le lévrier.