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FRANK.

Un poignard peut se tordre, et le coup peut manquer.
Mais si, las de lui-même et de sa vie obscure,
Le pauvre qu’on insulte allait prendre un tison,
Et le porter en feu dans sa propre maison !

Il prend une bûche embrasée dans le feu allumé sur la place,
et la jette dans sa chaumière

Sa maison est à lui, — c’est le toit de son père,
C’est son toit, — c’est son bien, — le tombeau solitaire
Des rêves de ses jours, des larmes de ses nuits ;
Le feu doit y rester, si c’est lui qui l’a mis.

LE CHOEUR.

Agis-tu dans la fièvre ? Arrête, incendiaire !
Veux-tu du même coup brûler la ville entière ?
Arrête ! — où nos enfants dormiront-ils demain ?

FRANK.

Me voici sur le seuil, mon épée à la main.
Approchez maintenant, fussiez-vous une armée.
Quand l’univers devrait s’en aller en fumée,
Tonnerre et sang ! je fais un spectre du premier
Qui jette un verre d’eau sur un brin de fumier.
Ah ! vous croyez, messieurs, si je vous importune,
Qu’on peut impunément me chasser comme un chien ?
Ne m’avez-vous pas dit d’aller chercher fortune ?
J’y vais. — Vous l’avez dit, vous qui n’en feriez rien ;
Moi, je le fais, — je pars. — J’illumine la ville.
J’en aurai le plaisir, en m’en allant ce soir,
De la voir de plus loin, s’il me plaît de la voir.
Je ne fais pas ici de folie inutile :
Ceux qui m’ont accusé de paresse et d’orgueil
Ont dit la vérité. — Tant que cette chaumière
Demeurera debout, ce sera mon cercueil.
Ce petit toit, messieurs, ces quatre murs de pierre,