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Dans les longs corridors qui se perdent dans l’ombre,
Où de tristes échos répètent chaque pas,
Se mêlaient autrefois des serviteurs sans nombre…
La coupe des festins égaya les repas.

Une lampe, qu’au loin on aperçoit à peine,
Prouve que de ces murs un seul est habité.
Ainsi tombe et périt le féodal domaine ;
Ici la solitude, — ici la pauvreté.
Ce sont les lourds arceaux d’un vieux laboratoire
Que Tiburce a choisis ; — non loin est un caveau,
Peut-être une prison, — peut-être un oratoire ;
Car rien n’approche autant d’un autel qu’un tombeau.

Là, dans le vieux fauteuil de la noble famille,
Où les enfants priaient, où mouraient les vieillards,
S’agenouilla jadis plus d’une chaste fille
Qui poursuivait des yeux de lointains étendards.
Plus tard, c’est encor là qu’à l’heure où le coq chante,
Demandant au néant des trésors inouïs,
L’alchimiste courbé, d’une main impuissante
Frappa son front ridé dans le calme des nuits.
Le philosophe oisif disséqua sa pensée…
La science aujourd’hui, rencontrant sous ses pieds
Les vestiges poudreux d’une route effacée,
Sourit aux vains efforts des siècles oubliés.

Sur le chevet du lit pend cette triste image,
Où Raphaël, traînant une famille en deuil,
Dépose l’Homme-Dieu de la croix au cercueil.
Sa mère de ses mains veut couvrir son visage,
Ses bras se sont roidis et, pour la ranimer,
Ses filles n’ont, hélas ! que leur sainte prière…