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Lui demandait des sons que la terre n’a pas ;
Soulevant par sanglots des torrents d’harmonie,
Mourante, elle oubliait l’instrument dans ses bras.
Ô Dieu ! mourir ainsi jeune et pleine de vie…
Mais tout avait cessé, le charme et les terreurs,
Et la femme en tombant ne trouva que des pleurs.

Pleure, le ciel te voit ! — pleure, fille adorée !
Laisse une douce larme au bord de tes yeux bleus
Briller, en s’écoulant, comme une étoile aux cieux !
Bien des infortunés dont la cendre est pleurée
Ne demandaient pour vivre et pour bénir leurs maux
Qu’une larme — une seule — et de deux yeux moins beaux !

Échappant aux regards de la foule empressée,
Miss Smolen s’éloignait, la rougeur sur le front ;
Sur le bord du balcon elle resta penchée.

Oh ! qui l’a bien connu, ce mouvement profond,
Ce charme irrésistible, intime, auquel se livre
Un cœur dans ces moments de lui-même surpris,
Qu’aux premiers battements un doux mystère enivre,
Jeune fleur qui s’entr’ouvre à la fraîcheur des nuits !
Fille de la douleur, harmonie ! harmonie !
Langue que pour l’amour inventa le génie !
Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux ;
Douce langue du cœur, la seule où la pensée,
Cette vierge craintive et d’une ombre offensée,
Passe en gardant son voile, et sans craindre les yeux !
Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire
Dans les soupirs divins nés de l’air qu’il respire,
Tristes comme son cœur, et doux comme sa voix ?
On surprend un regard, une larme qui coule ;