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Joug détesté ! c’est par là que mon cœur
Perdit sa force et sa jeunesse ; —
Et cependant, auprès de ma maîtresse,
J’avais entrevu le bonheur.
Près du ruisseau quand nous marchions ensemble,
Le soir, sur le sable argentin,
Quand devant nous le blanc spectre du tremble
De loin nous montrait le chemin ;
Je vois encore, aux rayons de la lune,
Ce beau corps plier dans mes bras…
N’en parlons plus… — je ne prévoyais pas
Où me conduisait la Fortune.
Sans doute alors la colère des dieux
Avait besoin d’une victime ;
Car elle m’a puni comme d’un crime
D’avoir essayé d’être heureux.

La muse.

L’image d’un doux souvenir
Vient de s’offrir à ta pensée.
Sur la trace qu’il a laissée
Pourquoi crains-tu de revenir !
Est-ce faire un récit fidèle
Que de renier ses beaux jours ?
Si ta fortune fut cruelle,
Jeune homme, fais du moins comme elle,
Souris à tes premiers amours.

Le poëte.

Non, — c’est à mes malheurs que je prétends sourire.
Muse, je te l’ai dit : je veux, sans passion,
Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire,
Et t’en dire le temps, l’heure et l’occasion.