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Dans vos vitraux dorés vous la cherchiez encore.
Vous aimiez ardemment ! oh ! vous étiez heureux !

Vois tu, vieil Arouet ? cet homme plein de vie,
Qui de baisers ardents couvre ce sein si beau,
Sera couché demain dans un étroit tombeau.
Jetterais-tu sur lui quelques regards d’envie ?
Sois tranquille, il t’a lu. Rien ne peut lui donner
Ni consolation ni lueur d’espérance.
Si l’incrédulité devient une science,
On parlera de Jacque, et, sans la profaner,
Dans ta tombe, ce soir, tu pourrais l’emmener.

Penses-tu cependant que si quelque croyance,
Si le plus léger fil le retenait encor,
Il viendrait sur ce lit prostituer sa mort !
Sa mort ! — Ah ! laisse-lui la plus faible pensée
Qu’elle n’est qu’un passage à quelque lieu d’horreur,
Au plus affreux, qu’importe ? il n’en aura pas peur ;
Il la relèvera, la jeune fiancée,
Il la regardera dans l’espace élancée,
Porter au Dieu vivant la clef d’or de son cœur !

Voilà pourtant ton œuvre, Arouet, voilà l’homme
Tel que tu l’as voulu. — C’est dans ce siècle-ci,
C’est d’hier seulement qu’on peut mourir ainsi.
Quand Brutus s’écria sur les débris de Rome :
— Vertu, tu n’es qu’un nom ! — il ne blasphéma pas.
Il avait tout perdu, sa gloire et sa patrie,
Son beau rêve adoré, sa liberté chérie,
Sa Portia, son Cassius, son sang et ses soldats ;
Il ne voulait plus croire aux choses de la terre.
Mais, quand il se vit seul, assis sur une pierre,