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SUR LA PARESSE


À M. B…


« Oui, j’écris rarement, et me plais de le faire :
Non pas que la paresse en moi soit ordinaire ;
Mais, sitôt que je prends la plume à ce dessein,
Je crois prendre en galère une rame à la main. »

Qui croyez-vous, mon cher, qui parle de la sorte ?
C’est Alfred, direz-vous, ou le diable m’emporte !
Non, ami. Plût à Dieu que j’eusse dit si bien
Et si net et si court, pourquoi je ne dis rien !
L’esprit mâle et hautain dont la sobre pensée
Fut dans ces rudes vers librement cadencée
(Ôtez votre chapeau), c’est Mathurin Régnier,
De l’immortel Molière immortel devancier,
Qui ploya notre langue, et dans sa cire molle
Sut pétrir et dresser la romaine hyperbole ;
Premier maître jadis sous lequel j’écrivis,
Alors que du voisin je prenais les avis,
Et qui me fut montré, dans l’âge où tout s’ignore,
Par de plus fiers que moi, qui l’imitent encore ;
Mais la cause était bonne, et, quel qu’en soit l’effet,
Quiconque m’a fait voir cette route a bien fait.
Or je me demandais hier dans la solitude :
Ce cœur sans peur, sans gêne et sans inquiétude,