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Je souffre, il est trop tard ; le monde s’est fait vieux.
Une immense espérance a traversé la terre ;
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux ! »

Que me reste-t-il donc ? Ma raison révoltée
Essaye en vain de croire et mon cœur de douter.
Le chrétien m’épouvante, et ce que dit l’athée,
En dépit de mes sens je ne puis l’écouter.
Les vrais religieux me trouveront impie,
Et les indifférents me croiront insensé.
À qui m’adresserai-je, et quelle voix amie
Consolera ce cœur que le doute a blessé ?

Il existe, dit-on, une philosophie
Qui nous explique tout sans révélation,
Et qui peut nous guider à travers cette vie
Entre l’indifférence et la religion.
J’y consens. — Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes
Qui savent, sans la foi, trouver la vérité ?
Sophistes impuissants qui ne croient qu’en eux-mêmes,
Quels sont leurs arguments et leur autorité ?
L’un me montre ici-bas deux principes en guerre
Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels[1] ;
L’autre découvre au loin, dans le ciel solitaire,
Un inutile Dieu qui ne veut pas d’autels[2].
Je vois rêver Platon et penser Aristote ;
J’écoute, j’applaudis, et poursuis mon chemin.
Sous les rois absolus je trouve un Dieu despote ;
On nous parle aujourd’hui d’un Dieu républicain.
Pythagore et Leibnitz transfigurent mon être.

  1. Système des Manichéens.
  2. Le théisme.