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la vertu te crie qu’elle souffre, qui te dit que ce n’est pas parce qu’elle se sent mourir ? Ô misérable ! ces voix lointaines que tu entends gémir dans ton cœur, tu crois que ce sont des sanglots ; ce n’est peut-être que le cri de la mouette, l’oiseau funèbre des tempêtes, que le naufrage appelle à lui. Qui t’a jamais raconté l’enfance de ceux qui meurent couverts de sang ? Ils ont aussi été bons à leurs jours ; ils posent aussi leurs mains sur leur visage pour s’en souvenir quelquefois. Tu fais le mal et tu te repens ? Néron aussi, quand il tua sa mère. Qui donc t’a dit que les pleurs nous lavaient ?

Et quand bien même il en serait ainsi, quand il serait vrai qu’une part de ton âme n’appartiendra jamais au mal, que feras-tu de l’autre qui lui appartiendra ? Tu palperas de ta main gauche les plaies qu’ouvrira ta main droite ; tu feras un suaire de ta vertu pour y ensevelir tes crimes ; tu frapperas, et, comme Brutus, tu graveras sur ton épée les bavardages de Platon ! À l’être qui t’ouvrira ses bras, tu plongeras au fond du cœur cette arme ampoulée et déjà repentante ; tu conduiras au cimetière les restes de tes passions, et tu effeuilleras sur leurs tombes la fleur stérile de ta pitié ; tu diras à ceux qui te verront : — Que voulez-vous ! on m’a appris à tuer, et remarquez que j’en pleure encore, et que Dieu m’avait fait meilleur. Tu parleras de ta jeunesse, tu te persuaderas à toi-même que le ciel doit te pardonner, que tes malheurs sont involontaires, et tu harangueras tes nuits d’insomnie pour qu’elles te laissent un peu de repos.