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courses solitaires, elle avait cédé clairement à une fantaisie qui me parut cruelle si elle ne m’aimait pas. Elle savait que je souffrais : pourquoi abuser de mon courage si elle n’avait pas changé d’avis ?

Cette réflexion, que je fis malgré moi, me rendit tout autre qu’à l’ordinaire. Lorsqu’elle monta à cheval, le cœur me battit quand je lui pris le pied ; je ne sais si c’était de désir ou de colère. — Si elle est touchée, me dis-je à moi-même, pourquoi tant de réserve ? Si elle n’est que coquette, pourquoi tant de liberté ?

Tels sont les hommes ; à mon premier mot, elle s’aperçut que je regardais de travers et que mon visage était changé. Je ne lui parlais pas et je pris l’autre côté de la route. Tant que nous fûmes dans la plaine, elle parut tranquille, et tournait seulement la tête de temps en temps pour voir si je la suivais ; mais lorsque nous entrâmes dans la forêt, et que le pas de nos chevaux commença à retentir sous les sombres allées, parmi les roches solitaires, je la vis trembler tout à coup. Elle s’arrêtait comme pour m’attendre, car je me tenais un peu derrière elle ; dès que je la rejoignais, elle prenait le galop. Bientôt nous arrivâmes sur le penchant de la montagne, et il fallut aller au pas. Je vins alors me mettre à côté d’elle ; mais nous baissions tous deux la tête ; il était temps, je lui pris la main.

— Brigitte, lui dis-je, vous ai-je fatiguée de mes plaintes ? Depuis que je suis revenu, que je vous vois tous les jours, et que tous les soirs, en rentrant, je me