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musée des familles.

Maître Jacques se leva. Il élait mécontent de lui-même. Il fit de nouveau deux ou trois tours dans la cuisine.

Puis il se rapprocha de la jeune fille, comme pour lui parler, puis s’en éloigna, le tout sans mot dire.

— Bonsoir, ût-il enfin.

Et là-dessus il lui tira sa révérence, et alla s’enfermer dans son cabinet.

Marthe enleva le couvert, et, allant et venant autour de Madeleine, elle chercha à la consoler.

— Monsieur est mal disposé aujourd’hui, dit-elle, demain il sera tout autre et vous ne le reconnaîtrez plus. Mais Madeleine ne voulait pas être consolée. Elle embrassa néanmoins la vieille servante, qui avait toujours élé pour elle bonne et affectueuse, prit un flambeau, car la nuit était tombée, et remonta dans sa chambre.

Là, sans pleurer, celle fois, sans se plaindre, la pauvre âme froissée, elle s’agenouilla et commença sa prière du soir. Elle pria d’abord pour ceux qu’elle avait perdus et qui l’aimaient tant, puis pour son père et pour elle-même. Elle demanda à Dieu le miracle nécessaire pour rentrer dans ce cœur, comme elle était rentrée dans celle maison. Enfin, elle s’accusa elle-même, en excusant son père.

— Pourquoi m’aimerait-il ? disait-elle, il ne me connaît pas. Je suis une étrangère pour lui, je viens troubler Ja paix de sa vie. N’ai-je pas moi-même d’ailleurs provoqué sa colère ?... C’est ma faute, bien sûr... mon Dieu ! mon père, pardonnez-moi !

Elle se releva plus calme, la sainte fille ! et procéda à sa toilette de nuit.

Au moment où elle dégrafait sa robe, un petit portefeuille noir tomba de son sein par terre. Elle le ramassa vivement et l’ouvrit. D’un côté, il y avait plusieurs liasses de billets, on eût dit des billets de banque ; de l’autre, un méchant chiffon de papier, sale, froissé.

Elle ne regarda pas même les billets, mais elle prit le chiffon de papier, et le baisa à plusieurs reprises. Elle le remit ensuite dans le portefeuille, et plaça le portefeuille sous son traversin.

Puis elle se coucha, s’endormit, et Dieu, qui est la source de toute justice, lui envoya sans doute de doux rêves.

V. — SECONDE JOURNÉE.

Le lendemain, Madeleine s’éveilla de bonne heure. Elle ouvrit sa fenêtre, qui donnait sur le petit jardin, et la maison lui parut moins triste que la veille. Le jardin était à peu près inculle. Les arbres, les arbustes et les légumes y poussaient avec un esprit de liberté et de fraternité qu’on rencontre rarement dans la race humaine ; par exemple, les fleurs y brillaient par leur absence.

Qu’importe ! la nature n’est-elle pas assez belle par elle-même !

D’ailleurs, il est certaines dispositions de l’âme qui s’accommodent mieux des œuvres de Dieu, si grandes dans leur simplicité, que des œuvres de l’horame,si petites dans leur richesse. *

Or, Madeleine était certes dans cette disposition, et, en ce moment, la vue d’un parterre émaillé de roses, de tulipes et de jasmins lui eût semblé un contre-sens, et l’eût agacée.

s Le soleil encore oblique perçait le feuillage de ses flèches d’or, — comme on eût dit au beau temps do M. Delille, — les oiseaux chantaient, une brise légère agitait les jeunes branches. Bref, c’était une ravissante matinée.

Madeleine respira l’air pur à pleins poumons, la force lui revint et l’espoir aussi.

Une heure après, elle descendit au jardin, qu’elle visita dans tous les sens. La visite, il est vrai, ne fut pas longue. Comme elle revenait du côté de la maison, elle entendit un bruit de voix.

L’une de ces voix, à n’en pas douter, était celle do son père ; pour ne l’avoir entendue qu’une fois, Madeleine n’avait garde de l’oublier ; l’autre, il lui semblait bien aussi la connaître, cependant ce n’était ni celle de la vieille Marthe, ni celle de Pierrot. A qui donc pouvait-elle appartenir ?

Maître Jacques et son interlocuteur inconnu n’étaient séparés de la jeune fille que par l’épaisseur d’une charmille ; mais, comme nous l’avons dit, celle charmille était si touffue, qu’elle arrêtait absolument le regard. Madeleine craignit de surprendre un secret, et, par discrétion, s’empressa de rebrousser chemin. Mais il paraît que son père et l’étranger suivaient dans le même sens une allée parallèle, car leurs voix arrivaient toujours aussi distinctement à son oreille. Or voici ce qu’elle entendit ou crut entendre. L’inconnu parlait d’un ton bas et suppliant. Il offrait à maître Jacques de s’engager lui-même, et de souscrire telle obligation qui lui conviendrait, si celui-ci consentait à interrompre des poursuites commencées contre son père et à différer de quelques mois l’exigibilité de la délie.

Maître Jacques, au contraire, parlait haut, comme un homme sûr de son droit.

— Ce n’est pas pour l’argent, disait-il, mais, votre père m’a offensé ; j’en suis fâché ; qu’il paye, ou il ira eu prison.

L’autre essaya encore de fléchir le vieillard ; mais comme il n’y réussissait pas, il finit par perdre patience et, élevant la voix à son tour, il traita maître Jacques de fripon. Celui-ci ne répondit que par un éclat de rire sec et strident. Puis il se fit un long silence, et au grincement du la porte d’entrée, Madeleine comprit que l’étranger était parti.

Elle voulut savoir quel était l’homme qui osait traiter maître Jacques de fripon. C’était la seconde fois en deux jours qu’elle entendait prononcer ce mot. Elle courut à une terrasse qui dominait la petite rue, et aperçut le voyageur de la veille ; la même accusation sortait donc de la même bouche.

Elle ne connaissait pas les antécédents de son père. La tante Sylvie lui avait au contraire appris à respecter, à honorer maître Jacques. Jamais la pensée qu’il eût pu commettre une action déshonnête n’était donc venue à son esprit. Quelle relation du reste existait entre son père et l’étranger ? Ces paroles n’étaient-elles pas échappées à la colère, et fallait-il y attacher une importance quelconque ?

Voilà ce que Madeleine voulait se persuader, mais Fair de loyaulé, de franchise du jetfne homme semblait exclure l’accusation de calomnie.

Elle ne put donc se défendre d’un sentiment, d’inquiétude, et se promit d’observer. Elle reprit le chemin de la maison. L’heure du déjeuner approchait, et maître Jacques, nous le savons, n’aimait pas à attendre.