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faisant entrer Suwarow à Pétersbourg sous un arc de triomphe ; mais tout à coup les dispositions de l’Empereur changèrent, et au lieu d’une entrée triomphale, ce fut une disgrâce qu’il réserva au vieux guerrier qui l’avait servi avec tant de dévouement.

Suwarow, après avoir séjourné, pendant le mois de janvier de l’année 1800, à Prague où il eut plusieurs conférences avec le général autrichien Bellegarde et l’ambassadeur britannique Spencer Smith, et où il célébra le mariage de son fils avec une princesse de Courlande, continua sa route vers Saint-Pétersbourg, d’après les ordres précis de Paul Ier, déterminé à rompre avec la coalition qu’il accusait de l’avoir trahi et qui s’indignait de voir un feld-maréchal russe en rapport avec un diplomate anglais, quand lui, empereur, renvoyait au cabinet britannique, percée de son épée, la dépêche par laquelle on lui refusait la souveraineté promise de l’île de Malte.

Au lieu des honneurs qu’il attendait et qui lui étaient dus, Suwarow trouva un ordre d’exil ; ce fut secrètement et la nuit qu’il entra dans la capitale de l’Empereur, et il ne fit que traverser Pétersbourg pour aller chercher un asile auprès d’une de ses nièces. Toutes ses tentatives pour parvenir jusqu’à l’Empereur furent vaines ; forcé de s’éloigner, le vieux guerrier, accablé de chagrin, se retira dans sa terre de Pollendorff en Esthonie, où il ne languit que peu de temps ; tombé dangereusement malade, il fut bientôt aux portes du tombeau.

L’empereur, se repentant alors de sa conduite injuste et cruelle envers un homme qui avait couvert de gloire les armées russes, l’envoya visiter par ses deux fils, Alexandre, depuis empereur, et Constantin, qui avait partagé avec le feld-maréchal une partie des dangers de la dernière campagne. Ces deux princes ayant rapporté que Suwarow était à toute extrémité, celui-ci vit bientôt paraître auprès de son lit un officier chargé de lui apporter la parole de son souverain, que la grâce qu’il voudrait demander lui serait accordée.

Le feld-maréchal, expirant, se mit alors à faire l’énumération de tous les bienfaits et de toutes les marques d’honneur qu’il avait reçues de l’impératrice Catherine, puis il ajouta : « Je n’étais qu’un soldat plein de zèle, elle a senti la volonté que j’avais de la servir. Je lui dois plus que la vie, elle m’a donné les moyens de m’illustrer. Allez dire à son fils que j’accepte sa parole impériale. Voyez ce portrait de Catherine, jamais il ne m’a quitté ; la grâce que je demande, c’est qu’il soit enseveli avec moi dans ma tombe et qu’il reste à jamais attaché sur mon cœur. »

Ces mots, dont Paul Ier ne comprit peut-être pas toute la dureté, furent les derniers que prononça le maréchal qui expira le 18 mai 1800, à l’âge de 70 ans.

La vie de Suwarow était austère et dure. Il se levait habituellement avec le jour et commençait, en plein air et en présence de ses soldats, à se faire arroser le corps nu de quelques seaux d’eau froide. Extrêmement sobre à table, il n’était pas, non plus, difficile pour son coucher.

À Vérone, il refusa l’appartement qu’on lui avait préparé et en choisit un autre beaucoup plus simple, dont il fit enlever les glaces comme un objet de luxe qui blessait ses yeux. Il ne voulut pas se servir du lit, fit jeter à terre quelques bottes de foin sur lesquelles il étendit son manteau et se coucha. Il ne portait son uniforme que dans les occasions où il s’agissait de faire respecter en lui le général des armées de son souverain ; dans toutes les autres, ou le trouvait vêtu de toile, ou. dans les plus grands froids, d’une touloupe (pelisse commune) en peau de mouton. Mais, par un contraste frappant,