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Les séances ont lieu au palais de justice et on va s’asseoir, pendant des intervalles de repos sur les bancs de la terrasse ou dans le square pittoresque compris entre le Palais, le Château Frontenac et la terrasse. On admire le paysage sublime formé par les deux falaises du fleuve et par la perspective immense des côtes de Beauport, près desquelles l’île d’Orléans jette sa note gracieuse de verdure, qui tempère la grandeur altière du décors.

Cette année-là, les questions furent assez faciles et presque tous les étudiants furent heureux dans leurs examens. Arthur fut au nombre de ceux qui, pour employer le langage de l’université, furent « bloqués ». Il fit une scène de désespoir, le soir, à l’hôtel, et ses amis eurent toutes les peines du monde à lui faire comprendre que tout n’était pas perdu et qu’il pourrait se reprendre, dans six mois, et se faire recevoir. Ce n’était pas un malheur irréparable, lui disait-on, et ce qu’il avait de mieux à faire était de se reposer pendant quelques mois puis de se remettre courageusement au travail. Il finit par entendre raison et il attendit pour repartir que ceux qui avaient réussi dans leurs examens écrits eussent subi l’examen oral, qui n’était qu’une formalité.

Ils partirent ensuite tous ensemble, emportant de leur voyage ce souvenir profond et vivace que laissent les événements importants de la vie.

Les examens oraux avaient eu lieu le matin, de sorte que le résultat, aussitôt connu, fut télégraphié aux journaux de Montréal, où la nouvelle arriva avant le retour des nouveaux avocats. Elle causa, dans la famille Ducondu, le plaisir que l’on peut croire. Un journal l’apporta aussi, le soir, à Saint-Augustin. Le père Duverger lut, après souper, en fumant sa pipe, la note brève qui annonçait le succès de son fils. Une joie intense l’envahit en pensant au chemin parcouru par Louis, qui était maintenant un « homme de profession » et dont il serait si fier, quand il entrerait avec lui à la grand’messe, dans l’église de Saint-Augustin. La mère Duverger fut émue jusqu’aux larmes et les enfants, auxquels le père Duverger annonça la grande nouvelle, ne purent comprendre pourquoi leur père et leur mère étaient si sérieux et avaient l’air si grave. ― Mais la joie des deux époux était trop grande, leur bonheur était trop profond pour se manifester bruyamment.

Le journal, porteur de bonnes et de mauvaises nouvelles pénétra partout. On le reçut également chez madame Doré. Le nom d’Arthur n’était pas parmi les noms de ceux qui avaient réussi. Marcelle et sa mère comprirent ce que cela signifiait.

La jeune fille eut un moment de révolte : elle avait toujours joué le rôle le plus secondaire dans la maison ; n’avait-elle été privée de toilettes et de plaisirs que pour un être indigne de lui imposer tant de privations et qui n’avait même pas pris la peine d’en profiter ? Une exclamation lui échappa, amère et méprisante : « le bon à rien ! »