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Dans la chambre, en haut, le père Beaulieu dormait toujours. Ce n’était peut-être que la quatrième ou troisième fois, dans toute sa vie, qu’il lui arrivait de ne pas se lever en même temps que le reste de la maisonnée et de ne pas être le premier à l’ouvrage.

Une appétissante friture tiédissait sur le poêle et remplissait la maison de sa bonne odeur.

La mère Beaulieu crut qu’il était temps d’appeler son mari pour le repas commun. Elle alla donc dans la chambre et elle ouvrit les persiennes.

Un cri d’horreur retentit dans la maison, et jusque dans l’épicerie, où étaient Marie et Henri. Ils montèrent précipitamment et restèrent attérés devant le spectacle qu’avait révélé la lumière : leur père était étendu aussi rigide que s’il eût fait un effort extraordinaire pour raidir ses membres et il avait la figure violacée comme celle d’un noyé. Tous les efforts pour le réveiller furent vains et Henri courut chercher un médecin voisin, pendant que Marie téléphonait au docteur Ducondu.

Les deux hommes de l’art crurent sentir un faible battement du pouls, intermittent et vacillant comme la lueur d’une lampe qui s’éteint.

Le prêtre fut appelé et oignit le moribond, pendant que les enfants sanglotaient tout haut, au pied du lit.

Une heure après, tout signe de vie était disparu et le père Beaulieu était rendu dans un monde où on ne connaît pas la fièvre et les inquiétudes humaines et où l’on goûte pour toujours la paix.

Sa pauvre existence tourmentée était finie. Il avait rejoint ses ancêtres dont la vie s’était passée sur la ferme, pour jouir avec eux d’un repos commun, de ce repos auquel il aspirait si ardemment et qu’il avait trouvé soudain, au milieu d’angoisses sans issue.

La Providence lui avait accordé le délai que Dulieu lui avait refusé.

La mort n’a pas autant de terreur pour les habitants des campagnes que pour ceux des villes : elle n’est en effet qu’un retour à la nature, dont ils sont toujours si proche. Ils ont une résignation un peu fataliste et ils accueillent sans frayeur la lugubre visiteuse. Les larmes cessèrent donc vite dans la maison du défunt, pour faire place à une douleur résignée et tranquille.

La soudaineté du choc avait cependant fort secoué toute la famille et les enfants furent reconnaissants à Louis Duverger de compatir à leur deuil, et de leur épargner les démarches multiples et pénibles qui sont nécessaires en pareil cas, tant auprès des entrepreneurs de pompes funèbres que pour obtenir les certificats et les attestations pour l’inhumation.

Marie en particulier lui en sut gré, comme elle lui savait gré des longues heures qu’il passait chez l’épicier, car la présence du jeune homme lui faisait du bien. Elle eût aimé à se jeter dans ses bras, pour être consolée comme une enfant, subissant à son insu la loi qui