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Une période charmante commença donc pour eux, celle pendant laquelle on se rend compte de la similitude des goûts et des opinions avant de s’avouer la similitude des sentiments.

Sans avoir horreur des mondanités, Ernestine préférait les plaisirs d’intérieur, les causeries tranquilles ; Louis n’aurait pas aimé à prendre part à aucune fête mondaine, car il lui aurait semblé qu’il se dissipait et qu’il n’abordait pas sa troisième et dernière année d’étude comme il convenait. Mais il était très heureux d’être reçu dans l’intimité chez le docteur.

Ernestine était une nature bien équilibrée et elle avait un tempérament calme ; il était lui-même peu porté aux sentimentalités. Ils faisaient donc une paire d’amis comme on en voit peu et s’acheminaient vers l’amour uniquement parce qu’ils étaient jeunes et que l’amitié ne suffit pas, à cet âge.

On en vint peu à peu chez le docteur à considérer Louis comme un commensal obligé, son couvert fut mis presque à tous les dimanches. Il entrait dans la famille avant même d’y appartenir, par habitude, parce qu’il trouvait les Ducondu très affables et d’un commerce agréable, et parce qu’il était un invité charmant.

Souvent, le dimanche soir, il venait faire la partie de cartes avec le docteur, sa femme et Ernestine. Cette dernière, qui était bonne musicienne, laissait rarement passer une soirée sans interpréter quelque morceau de maître et Louis retournait à sa chambre en fredonnant gaiement un refrain de l’opera dont elle avait joué un extrait.

C’était certainement des soirées peu mouvementées, mais telles quelles, elles plaisaient au jeune homme, qui avait l’impression d’avoir été transporté chez lui pendant quelques heures, à ce foyer où régnait la même bonté, où l’on observait les mêmes traditions de simplicité que chez le père Duverger, mais où il respirait en plus une atmosphère de culture littéraire et artistique dans laquelle Louis se trouvait parfaitement à l’aise.

Louis et la famille du docteur étaient attablés autour d’un jeu de cartes, un soir, quand un visiteur demanda le docteur.

La chose arrivait souvent ; les joueurs n’y faisaient généralement pas attention : ils mettaient leurs cartes sur la table et causaient tranquillement, en attendant le retour de leur partenaire. Mais ce soir-là le docteur demeura si longtemps absent qu’ils furent bien forcés de le remarquer, car il était rare qu’un patient fît une aussi longue visite.

Le docteur sortit enfin de son cabinet et les joueurs l’entendirent souhaiter le bonjour à un visiteur dont la voix résonna aux oreilles de Louis comme une voix connue. M. Ducondu entra tout bouleversé dans la pièce où on l’attendait. Lui d’habitude si calme, autant par tempérament que par la nécessité que lui en imposait sa profession, il était visiblement troublé.

« Qu’as-tu donc, mon cher ? » lui demanda sa femme, avec surprise et avec un peu d’inquiétude.

« Je viens de me trouver dans une nécessité bien pénible », répon-