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— J’aime bien ça moi aussi, dit Louis.

— Mais tu vas demeurer en ville toute ta vie, répondit la jeune fille, qu’une longue intimité autorisait à tutoyer Louis.

— Ça ne fait rien, répondit celui-ci, pourvu que je puisse aller à Saint-Augustin de temps à autre.

— Tu vas trouver ça drôle de vivre en ville tout le temps, quand tu seras reçu.

— Il le faut bien : je ne pourrais pas pratiquer le droit à Saint-Augustin.

— C’est vrai.

— Mais toi aussi, dit-il à la jeune fille, tu vas vivre en ville.

Marie hésita à répondre, car elle fut sur le point de dire qu’elle était heureuse que Louis dût demeurer en ville si elle devait y demeurer elle aussi, mais elle ne dit pas ce qu’elle pensait, songeant tout-à-coup que Louis se marierait et qu’alors elle ne le verrait plus, même en ville. C’est l’air un peu attristé qu’elle reprit : « En tout cas, j’aimerais bien à avoir des vacances comme toi. C’est une belle vie d’être étudiant ».

— Oui, répondit-il, pendant le temps des vacances, justement parce que je ne suis pas étudiant pendant ce temps-là.

Louis n’avait pas besoin de demander à Joseph quelles étaient ses préférences : il savait bien que le jeune commis se souciait peu de retourner à la campagne, pour y gagner peu d’argent en travaillant beaucoup, alors que son travail en ville lui rapportait plus qu’il n’aurait jamais osé l’espérer.

L’étudiant demanda à voir le père Beaulieu et la mère Beaulieu, auxquels il voulait faire ses adieux, puis il partit, laissant derrière lui des regrets, surtout dans le cœur de Marie dont ses visites étaient à peu près le seul plaisir et dans l’existence de laquelle il prenait en conséquence une place de plus en plus grande.

Elle aurait été encore bien plus chagrine si elle avait su ce que c’était que de passer un été en ville pour la première fois et de vivre sur l’asphalte par les chaleurs les plus torrides : ce n’était pas seulement la sympathie de Louis qui allait lui manquer, c’était la sympathie de toute la bonne nature des champs qui allait faire place aux ardeurs d’un soleil implacable contre lequel aucun ombrage vert ne protège et que ne tempère pas la rosée des champs et des grands bois. La fraîcheur est absente de l’été des villes, autant que l’est toute poésie et tout charme quelconque.

Mais la souffrance physique réelle qu’allait endurer Marie n’était rien, à côté de la souffrance morale : elle ne tarda pas à le constater, quand les jours des canicules furent arrivés et qu’elle se trouva seule dans l’épicerie par les brûlantes après-midi de juillet.

Elle revoyait alors les montagnes vertes de Saint-Augustin, la rivière qui coulait dans la prairie ; elle croyait sentir sur sa figure la bonne brise du nord, puis elle revenait subitement au sentiment de la réalité, brusquement rappelée à elle-même, par une bouffée d’air chaud