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travaux qui se font en notre pays jeune et qui donnent à chacun le moyen assuré de gagner sa subsistance et celle de sa famille.

À l’université comme dans les collèges, on compte les jours qui séparent encore de la sortie, quand arrive juin, et le grand nombre de ceux qui ont la perspective d’aller passer l’été à la campagne pensent fraîchement avec délice que juin fera reverdir les champs et formera les ombrages sous lesquels ils se reposeront. Ils songent aux champs couverts de sillons, où juin fera germer la moisson, ils voient en esprit les lacs et les rivières que le soleil irradie de ses rayons ; la nostalgie du grand air des champs, des bois et de la liberté s’empare d’eux ; le travail commence à leur peser et c’est avec difficulté qu’ils font le dernier effort qui doit couronner l’œuvre de toute l’année. Ces sentiments étaient ceux de Louis Duverger et d’Arthur Doré ; les textes de loi leur semblaient plus arides que d’habitudes, et les cours de droit romain, qui se donnaient l’après-midi, au moment où il faisait bon se promener et se perdre dans la foule joyeuse qui peuplait la rue Sainte-Catherine, leur paraissaient d’une longueur interminable. Louis résistait courageusement à l’impulsion qui l’attirait au dehors et il écoutait avec résignation le professeur qui parlait de « Primus », de « Secondus » et de « Tertius », comme s’ils eussent existé et qu’il les eût connus intimement. Mais Arthur n’avait pas toujours autant de patience : il se faufilait quelquefois dehors, après avoir répondu à l’appel de son nom, refermait la porte, par l’entrebâillement de laquelle une phrase latine citée par le professeur le poursuivait comme un remords, et sortait de l’université. D’autres fois il ne venait pas du tout au cours et il s’en allait déambuler rue Sainte-Catherine-Ouest avec quelque camarade comme lui en mal de promenade. Il perdait un temps précieux pour ses études, mais il n’en avait cure : on ne l’avait pas assez habitué à contrarier ses fantaisies pour qu’il eût lui-même la force de les réprimer.

C’était l’époque des examens annuels. L’an prochain ce serait la redoutable épreuve de la licence et des examens du Barreau, mais les deux étudiants avaient encore une année devant eux avant d’y arriver, — et quelque hâte qu’ils eussent d’être rendue au terme de leurs études, ils éprouvaient une certaine satisfaction à penser qu’ils n’affronteraient pas encore l’épreuve finale.

Louis subit ses examens de fin d’année avec succès, mais Arthur réussit moins bien. Le jeune Doré s’en consola en pensant qu’il avait encore le temps et qu’il pourrait passer l’année suivante ses examens arriérés. Arthur avait toujours « le temps » quand il s’agissait de travailler ; il ne semblait pas se douter que l’avenir ne peut ainsi s’escompter toujours et que les traites que l’on tire sur sa jeunesse ne sont pas renouvelables.

Il aurait aimé demeurer en ville quelques jours, après les examens pour s’amuser un peu ; mais Louis ne l’entendait pas de cette oreille et Arthur dût donc faire ses préparatifs de départ, car il eût craint que sa mère ne lui fît des reproches s’il fût arrivé à Saint-