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la loi d’amour y est reconnue, les jeunes gens éprouvaient les plus fines, les plus délicates, les plus adorables, celles qui remuent l’être entier, sans qu’il sache pourquoi, celles qui enveloppent et subjuguent irrésistiblement, celles qui annoncent l’éclosion du sentiment et qui précèdent sa révélation.

Ils cueillaient la fleur de l’amour et ils jouissaient de ce qu’il offre de meilleur, car l’aveu enlève à l’amour son apanage éthéré, sa poésie, pour y substituer la réalité, pour le concrétiser, le transporter dans le domaine matériel et en faire une « chose », qui vieillira et disparaîtra comme toutes les « choses ».

La fleur est plus belle que le fruit et son parfum est plus enivrant que le goût savoureux de celui-ci.

Marcelle était transformée. Elle chantait tout le jour et sa gaieté était si vive que sa mère ne pût s’empêcher de constater que la présence d’Arthur à la maison la rendait très heureuse. — C’était du moins ce que croyait madame Doré, mais elle se trompait ; il ne s’agissait pas d’Arthur.

Cependant les vacances tiraient à leur fin. Louis multipliait ses visites, car il trouvait à la conversation de la jeune fille et à sa présence un charme et une douceur extrêmes.

Il n’avait jamais eu de roman et n’analysait pas très bien les sentiments qu’il éprouvait. Il en jouissait tout simplement, sans arrière-pensée.

Cette inconscience ne pouvait durer bien longtemps. Marcelle et lui devenaient trop troublés quand ils se taisaient ; leurs mains se cherchaient et des aveux allaient sortir de leurs lèvres.

Ce fut Arthur qui empêcha le roman de prendre corps, avec l’insouciance et l’amour du moi si caractéristique chez lui. Il arrivait toujours au mauvais moment, quand les deux amoureux allaient dire le mot qui révèle et qui lie, quand le trop-plein de leur cœur allait s’épancher. Pas une fois il ne songea qu’il dérangeait un tête-à-tête qu’un bon frère aurait prolongé, pas une fois il ne songea que ce grand garçon qui était assis à côté de sa sœur serait pour elle un bon protecteur dans la vie, pas une fois il ne songea au bonheur des autres ; il ne pensa qu’à lui-même.

Il entrait brusquement dans le salon, interpelait familièrement son ami, disait quelque plaisanterie à sa sœur, et son apparition était comme une douche d’eau froide qui transissait les deux jeunes gens. Ils étaient contraints et cérémonieux. Toute la distance qu’ils avaient parcourue pour redevenir des amis s’étendait de nouveau entre eux et ils avaient conscience qu’un obstacle invisible les séparait.

Il en fut ainsi jusqu’à la fin et ils se séparèrent sans s’être dits ce qu’ils avaient le secret désir de se dire, avec un secret mécontentement l’un contre l’autre.

Madame Doré s’aperçut bien, quand Arthur et son ami furent repartis pour Montréal, que Marcelle était triste et que toute sa gaieté était soudain disparue. Mais n’était-ce pas la présence d’Arthur qui