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voulait jouer et la poursuivit. Elle était lasse et se sentait près de défaillir ; elle se mit à crier et à pleurer.

Louis accourut et écarta l’animal, qui le mordit cruellement, puis il escorta la fillette chez elle. La mère de Marcelle remercia chaudement le brave garçonnet, qu’elle embrassa à plusieurs reprises et dont elle remplit les poches de friandises, en dépit de ses protestations. Une amitié durable fut la conséquence de l’acte de bravoure de Louis : pendant plusieurs années, Marcelle et lui ne se rencontraient guère sans se dire bonjour et sans échanger quelques paroles. Ils se perdirent un peu de vue quand ils partirent, l’un pour le collège et l’autre pour le couvent. À cette âge, on est timide, et quand ils se revirent, aux vacances suivantes, ils osèrent à peine se saluer. Les années se succédèrent et les enfants grandirent. Marcelle était très jolie et Louis avait peine à croire que cette grande fille fût l’enfant avec laquelle il causait autrefois si familièrement. Marcelle de son côté, rendue plus réservée par son séjour au couvent, n’osait plus lever les yeux sur cet adolescent vigoureux dans lequel elle reconnaissait difficilement l’enfant d’autrefois.

À ces circonstances vinrent se joindre d’autres causes d’éloignement, comme par exemple le deuil de madame Doré. Les jeunes gens devinrent donc presque étrangers l’un à l’autre et ne se saluèrent plus qu’en indifférents, comme on se salue ordinairement dans les campagnes, où chacun se découvre ou s’incline devant les passants qu’il ne connaît pas, avec une courtoisie que nous ont léguée les vieilles traditions françaises.

Louis et Marcelle ne redevinrent des amis que quand Arthur se lia avec Louis, à l’université, mais leur amitié fut d’une sorte nouvelle, superficielle et cérémonieuse, comme entre gens du monde.

Ils revivaient maintenant les jours de leur première amitié et des sentiments inconnus, qui dormaient auparavant dans leurs cœurs, les agitaient. Ils se taisaient quelquefois après avoir évoqué un ancien souvenir, et leur silence était plus troublant que leurs paroles, car il était plein des choses qu’ils pensaient et qu’ils n’osaient se dire. Ils se demandaient, dans ces moments de silence, pourquoi leur première intimité n’avait pas continué et ils en avaient regret. Ils pensaient aussi qu’ils aimeraient à reprendre leurs vieilles habitudes, à se considérer comme des amis, à causer ensemble, sans embarras, de tout ce qui les intéressait. Ils s’acheminaient vers cette amitié d’antan, ils y revenaient peu à peu, mais ils ne se l’avouaient pas encore, pas plus qu’ils n’osaient s’avouer qu’ils étaient bien près d’être amoureux l’un de l’autre.

« Amoureux…… » que de poésie dans ce mot ! que de sentiments forts et puissants il exprime. Et comment ne pas se sentir ému, quand on le prononce, soit qu’il parle d’un sentiment actuel, soit qu’il évoque le passé, soit qu’il ouvre l’avenir.

Et des sentiments divers qu’exprime ce mot, de toutes les émotions chantées par les poètes depuis que le monde est monde et que