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Joseph et Henri avaient été ses compagnons de jeux, à l’école, et il avait « marché au catéchisme » avec eux. Quant à Marie, il la considérait aussi comme une camarade et les saillies originales et spirituelles de la jeune fille le divertissaient fort. C’était surtout sa compagnie et celle d’Henri qu’il recherchait, car le père Beaulieu n’était pas toujours d’humeur à plaisanter et Joseph avait une mentalité qui lui déplaisait, ne parlait que d’argent et ne songeait qu’à en amasser. Avec Henri et Marie, c’était autre chose : ils étaient toujours de bonne humeur et n’avaient aucun souci, quoiqu’ils travaillassent avec autant d’ardeur que les autres membres de la famille. Ils étaient, par intuition, de vrais philosophes, ne demandant pas à la vie ce qu’elle ne peut donner et se contentant de faire face aux tâches et aux évènements du jour sans appréhender ce que réservait le lendemain.

Marie aimait beaucoup aussi la compagnie de Louis. Ce n’était pas qu’elle fût sentimentale : la sentimentalité, la langueur est le fait des désœuvrés et elle n’était pas précisément désœuvrée. Il lui fallait partager avec sa mère les soins du ménage, apprêter les aliments, aider au raccommodage et, quand elle en avait le temps, servir les clients. Elle avait pour Louis une sincère et franche amitié, qu’elle lui témoignait sans rougir.

Son esprit naturel suppléait à la supériorité que l’instruction avait donnée à Louis et ils faisaient une fort bonne paire d’amis. De la part du jeune homme, il n’y avait non plus aucun sentiment tendre et il aurait été étonné qu’on lui parlât de la possibilité d’un pareil sentiment, car il était accoutumé à considérer Marie comme une demi-sœur.

Si la jeune fille eût été plus raffinée et plus instruite, elle aurait peut-être songé à la possibilité d’une union avec Louis, mais son esprit ne s’arrêtait à aucun semblable projet. Elle était encore très jeune et elle avait peu lu, de sorte que les idées romanesque lui étaient inconnues. Elle était beaucoup plus heureuse ainsi, différente en cela de ces jeunes filles de la campagne qui gâtent leur vie, parce qu’elles ont reçu trop d’instruction, qui deviennent des déclassées et qui sont absolument malheureuses. Marie pouvait épouser un homme ayant peu d’instruction et d’une situation sociale égale à la sienne et être heureuse, tandis certaines jeunes filles de la campagne qui passent cinq ou six ans au couvent, après un premier stage à l’école élémentaire, trouvent difficilement des compagnons avec qui elles soient en communauté d’idées. Elles se sont élevées au-dessus de leur milieu et il leur est pénible d’y redescendre en épousant un homme qui est leur égal au point de vue social, mais qui est leur inférieur au point de vue de la culture intellectuelle. Les unions entre des personnes si mal assorties ont quelquefois de désastreux résultats.

L’instruction a du bon, mais quand elle aboutit à rendre une femme malheureuse, atteint-elle un but désirable ? C’est là le problème délicat qui se pose…

L’homme profite plus facilement de son instruction pour s’élever, pour améliorer sa situation. Mais la femme dont les parents, dont les