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sereine. Et puis il y a l’espoir d’un monde meilleur, où on ne travaille plus, où on ne peine plus par tous les temps et à toute heure du jour, où l’on est débarrassé des fardeaux pesants, des soucis et des peines. La vue de ce ciel bleu, où les mystères sublimes de la religion chrétienne lui enseignent que son âme se perdra en un bonheur indicible, encourage et soutient le travailleur.

Mais nous sommes avant tout humains : qu’un espoir terrestre survienne, que la richesse et la fortune s’offrent à nous, et nous courons à sa rencontre.

Le père Beaulieu eut accueilli avec plaisir une occasion de s’enrichir. Dulieu, qui trouva la propriété tout à fait à sa convenance, résolut de l’acheter, mais il ne fit pas de proposition immédiate, craignant que le père Beaulieu ne lui demandât un prix exagéré ou ne refusât sa proposition. Il entreprit une campagne savante pour tirer partie des instincts de cupidité qui sommeillaient dans le cœur du cultivateur.

On le vit bientôt presque tous les jours chez le père Beaulieu, avec lequel il venait causer familièrement, le soir, en fumant la pipe, où qu’il hélait dans les champs, le jour, quand il passait en voiture avec des amis. Il mit pleinement à profit les quelques jours pendant lesquels il devait encore séjourner à Saint-Augustin et alluma des convoitises immenses dans le cerveau du cultivateur. Il lui parla argent et transactions financières, lui raconta avec complaisance comment certaines spéculations enrichissent en un jour celui qui les fait. Il insista surtout sur les fortunes rapides et faciles qu’on réalise dans le commerce des immeubles, lui faisant entrevoir, dans un avenir prochain, une augmentation fantastique des prix des propriétés rurales situées dans les environs des villes.

Il parlait sans affectation aucune et avec une bonne foi qui ne laissait pas de doute dans l’esprit du père Beaulieu. Du reste, comment les paroles de Dulieu auraient-elles pu être mises en doute, quand il avait ses poches pleines d’argent et quand il jouissait de la considération générale ?

Peu à peu, Dulieu en vint à parler au père Beaulieu de sa terre et à dire qu’elle pourrait rapporter un joli prix ; il ne lui fit cependant pas d’offres, se contentant de faire de vagues allusions aux cultivateurs qui s’enrichissaient en vendant leurs terres et qui venaient vivre à la ville, pour se livrer à quelque occupation facile et agréable. Les visites de Dulieu n’étaient pas sans attirer l’attention des cultivateurs voisins et le dimanche, pendant que les cultivateurs causaient à la porte de l’église, en fumant leurs pipes et en attendant le dernier coup de la grand’messe, ils discutaient avec curiosité l’intimité du père Beaulieu avec ce monsieur de la ville. Les plus malins prenaient un air avisé, plein de sous-entendus, et disaient : « le père Beaulieu manigance sûrement quelque chose. » Comme question de fait, ils ne savaient pas du tout à quoi s’en tenir et faisaient des compliments